Misère et splendeur de la traduction

Cada pueblo calla unas cosas para poder decir otras. Porque todo sería indecible. De aquí la enorme dificultad de la traducción: en ella se trata de decir en un idioma precisamente lo que este idioma tiende a silenciar. Pero, a la vez, se entrevé lo que traducir puede tener de magnífica empresa: la revelación de los secretos mutuos que pueblos y épocas se guardan recíprocamente y tanto contribuyen a su dispersión y hostilidad; en suma, una audaz integración de la Humanidad.

Chaque peuple tait certaines choses pour pouvoir en exprimer d’autres. Parce que tout dire serait se condamner au silence. D’où l’énorme difficulté de la traduction, dont tout l’effort consiste précisément à exprimer dans une langue donnée ce sur quoi cette langue tend à faire silence. Mais, simultanément, on pressent la magnificence de cette entreprise: la révélation des secrets que les peuples et l’histoire chérissent réciproquement et qui contribuent tellement à leur séparation et à leur hostilité mutuelle. En quelque sorte, il s’agit d’une audacieuse intégration de l’humanité.

José ORTEGA Y GASSET, Miseria y esplendor de la traducción.[cité par Nicholas EVANS, Ces mots qui meurent. Les langues menacées et ce qu’elles ont à nous dire]

Pour chaque langue que tu connais, tu deviens un homme nouveau.

Proverbe tchèque

Plus tard [février 2015], je note: Il est intéressant de mesurer l’ouverture d’un pays aux influences étrangères, sa capacité à intégrer la diversité, au flux de traduction des œuvres étrangères.


Wer fremde Sprachen nicht kennt, weiss nichts von seiner eigenen.

Goethe, Sprache in Prosa.

L’étranger

L’étranger, qui est-ce ? Il n’y a pas ici de définition suffisante. Il vient du dehors. Il est bien accueilli, mais selon les règles auxquelles il ne peut s’astreindre et qui de toute manière le mettent à l’épreuve – au seuil de la mort. Lui-même en tirera la « morale » qu’il exposera à de nouveaux venus: « Vous apprendrez aussi qu’il n’est pas facile de cesser de l’être. Si vous regrettez votre pays, vous trouverez ici chaque jour plus de raisons de le regretter; mais si vous parvenez à l’oublier et à aimer votre nouveau séjour, on vous renverra chez vous où, dépaysé une fois de plus, vous recommencerez un nouvel exil. »

Maurice Blanchot, Après coup, pp. 94-95 < Cité par J.F. Rey in Altérités [Les RV d’Archimède, 1998] p. 27

L’hospitalité

Le seul mode qui rend (rendrait ?) possible d’habiter ensemble cette terre.

Jean-Pierre Vernant, alors jeune voyageur en Grèce (en 1935), comme quelque temps plus tard Jacques Lacarrière 1, note l’extraordinaire hospitalité des Grecs:

C’est une leçon que je n’ai jamais oubliée, la démonstration, encore bien vivante aujourd’hui chez moi, que quand un étranger arrive dans un village, les gens du village considèrent que cet étranger leur fait honneur, qu’il leur apporte quelque chose; c’était la dispute sur la place pour savoir qui nous prendrait chez lui ! 2

Le même note un peu plus loin [page 92]:

Homère opposait déjà le monde des hommes civilisés à celui des sauvages, c’est-à-dire des individus qui ne respectent pas les règles, en particulier les règles de l’hospitalité; (…)

Je ne sais plus où j’ai noté que le mot grec xenos veut dire hôte et non pas étranger; xenia, c’est l’hospitalité. Et où ai-je lu que xenos viendrait du nom de « Zeus » et donc est lié à la divinité ? Voilà qui renverse la perspective.

La sagesse bouddhiste dit aussi: Autour du feu, il n’y a plus ni hôte, ni invité.


Et sur ce mot, la voix des poètes:

L’hospitalité envahit le monde, le jardin, les livres qui me servent de contre-poids. L’hospitalité approche les êtres et les choses, l’hospitalité ne fait plus peur, l’hospitalité est le silence intérieur, est un tournoiement d’abeilles, est la chaise inoccupée, est le visage des disparus, est la beauté d’une passante. L’hospitalité porte le nom de tous les dieux, elle annonce la venue du dieu oublié, elle dresse la table, elle attend la tombée du jour … l’utopie chante l’hospitalité sur l’air de la mélodie du bonheur.

Gaspard HONS, Un papillon posé sur un livre de Georges Perec

Il disait aussi: Il y aura toujours un érudit loquace et passablement convaincant qui, à grands renforts d’arguments, attribuera la progressive dégradation de notre relation à autrui, à l’obstination de quelques-uns à croire encore l’homme capable d’hospitalité. Evite-le.

En deçà de la responsabilité, il y a la solidarité.
Au-delà, il y a l’hospitalité.

Edmond Jabès, Le Livre de l’Hospitalité, Gallimard