Le langage dominant

Le langage dominant … et ses conséquences.

Margaret Thatcher1: Au 21e siècle, le pouvoir dominant est l’Amérique, le langage dominant est l’anglais, le modèle économique dominant est le capitalisme anglo-saxon.

Il est intéressant de noter l’articulation entre la langue et le modèle économique, le modèle de civilisation, et de voir comment et pourquoi les 3 dominations peuvent être funestes pour le destin du monde.

Après le petit-déjeuner, accompagné de quelques bris de vaisselle, monté sur le pont. De l’eau tout alentour – a lot of water, comme disait l’Américain qui trouvait la passerelle, à Port-Saïd, very clever. Façons de parler qui dénotent une certaine charpente, un laconisme dans la perception, et aussi dans les problèmes du sentiment. D’où, entre autres, le charme de la littérature américaine, surtout dans le dialogue. Les mots se changent en monnaies usées, qui peuvent entrer dans certaines fentes, en monosyllabes. Ils ont la valeur de jetons. C’est pour de telles raisons que dans les querelles mondiales, je parie plutôt sur les Américains que sur les Russes, déjà entravés par l’écriture cyrillique.

Ernst Jünger, Soixante-dix s’efface I, p. 64

Outre leur langue maternelle, les collégiens apprenaient jadis une seule langue, le latin : moins une langue morte que le stimulus artistique incomparable d’une langue entièrement filtrée par une littérature. Ils apprennent aujourd’hui l’anglais, et ils l’apprennent comme un espéranto qui a réussi, c’est-à-dire comme le chemin le plus court et le plus commode de la communication triviale : comme un ouvre-boîte, un passe-partout universel.[foot]Je souligne.[/foot]Grand écart qui ne peut pas être sans conséquences : il fait penser à la porte inventée autrefois par Duchamp, qui n’ouvrait une pièce qu’en fermant l’autre.

Julien Gracq, dans un texte inédit, sur le site des éditions José Corti.

Faire groupe

La rencontre offre la possibilité de faire groupe. La rencontre, non pas comprise comme la constitution d’une grégarité indéterminée, floue1, mais celle de la confiance partagée. Voyez à ce sujet la petite note sur la proposition d’Isabelle Stengers, de faire confiance, plutôt qu’avoir confiance. Dans la pratique artistique collective, la combinaison des individualités et du collectif, même dans la confrontation, est essentielle.

Ernst JÜNGER2 illustre ceci encore d’une autre manière:

Si je plante trois arbres tout près l’un de l’autre, dans une prairie, ils ne constitueront pas seulement un groupe, mais entreront aussi en relations réciproques. Ils laisseront dégénérer celles de leurs branches qui se tournent vers l’intérieur; vers le dehors, elles croîtront tant qu’elles retomberont jusqu’à terre.

La forme

Pour compléter la réflexion entamée sur la forme – la surface et la profondeur:

Mies van der Rohe, architecte, octogénaire. A construit la maison Seagram ; je l’ai vue à New York en 1958, juste après son achèvement. « Ce n’est pas la forme qui est le but de notre labeur, mais bien son résultat. » Soit, mais le labeur, même celui de l’artiste, n’est jamais comme la main d’un intermédiaire. L’harmonie intérieure est, par sa médiation, extériorisée. Angelus Silesius : Tu n’es pas dans le lieu, car le lieu est en toi. Chasse-le, et aussitôt l’éternité survient. (…)

Ernst JÜNGER [Soixante-dix s’efface I – Journal 1965-1970, à Willflingen, le 16 juin 1966]

Un homme à part

Ernst JÜNGER écrivait: Je n’ai pas un grand talent d’écrivain, pas même un talent moyen, mais je suis un homme à part.  [Soixante-dix s’efface (1986-1990), p. 298]

Quel est l’homme qui ne serait pas « un homme à part » ? Au moins, n’est-ce pas le rôle du pédagogue de faire apparaître cette évidence pour chacun ? Même un talent moyen fait un homme à part !

Et pourtant [je notais ceci le 8 août 2004] seul celui qui en a la pleine conscience – cette conscience de l’étrangeté de son rapport au monde, de la singularité de ce rapport, peut déclarer : je suis un homme à part. J’ajoute aujourd’hui: sans doute est-ce l’enjeu de la pratique artistique que de rendre évidente la position, la posture d’homme à part.

Mais « à part » de quoi ? De qui ? Il faut creuser et développer cette intuition, d’évidence.