Chercher l’Autre en soi

(…) ce que Breton nomme ce « complot de forces obscures qui mène à se croire quelque chose d’aussi absurde qu’une vocation ». A quoi il ajoute: « On écrit pour chercher des hommes et rien de plus ». La lecture de cette phrase confirma en moi ce que je commençais à pressentir: on n’écrit pas pour être connu, admiré, adulé et rien n’est plus absurde et méprisable que l’ambition littéraire. On écrit pour connaître les inconnus qui puisent aux mêmes sources d’exigences et de jouvences, pour chercher l’Autre en soi (et peut-être le Soi des autres), et aussi pour « s’ajouter au monde » selon la belle expression de Jean Giono, ce qui est l’exact antipode de l’ambition littéraire. Personnellement, j’ajouterai que j’ai aussi le sentiment d’écrire pour augmenter le mystère du monde et non pour le résoudre, tâche qui incombe davantage aux savants qu’aux poètes.

Jacques LACARRIERE, Chemins d’écriture, p.24-25

Mon commentaire:
voilà d’un honnête homme; contre le flot des livres qui ne portent témoignage que d’eux-mêmes, dans l’aveuglant faisceau des ambitions ridicules.

Mettre la distance

Écrire met une distance entre soi et ses actes. Une distance plus nette qu’entre l’acte et sa formulation verbale. On pourra alors examiner de manière plus objective ce qui a été formulé. Y revenir, corriger, dans le sens de son choix, s’y référer. Apporter au besoin quelques retouches pour en faciliter l’accès, ou mieux en dégager le sens. Écrire permet de s’écarter de sa propre pensée, de la commenter, d’en améliorer la forme, d’en aggraver le fond. Les mots ne sont plus des signaux auditifs fugaces mais des objets durables. Ce que nous produisons ensemble est de l’ordre de la recherche, de l’esquisse hésitante, imparfaite. Nous avons tous conscience que ces travaux ne sont pas des marchandises, que nous travaillons à l’élaboration et au partage des signes et du sens, et non à celle du monde économique.

Jacques SERENA, Maison des écrivains, cité par Remue.net

Le calligraphe

Le calligraphe relie le souffle qui l’anime à celui qui anime la substance des signes qu’il trace ; il entre en osmose avec l’essence des choses. En exprimant la vérité des choses, il exprime la sienne. Le pinceau, véritable «sismographe», enregistre le moindre frémissement de sa main, qui traduit ce qui vient de la profondeur de son être, sa véhémence, sa tendresse, sa sensibilité aussi bien charnelle que spirituelle, ses besoins de rectitude comme d’élan, de rigueur comme de grâce. Au plus haut de sa réalisation, il lui sera donné d’intégrer la grande rythmique universelle. La pulsion de l’homme rejoint là la pulsation du monde.

François CHENG et Alain REY, Dialogues, p.16