La totalité du son

Dans le travail d’ensemble, je demande que chaque chanteur/chanteuse fasse, lui/elle-même, la totalité du son; produise, pour soi, le son complet, l’expérience sonore complète, telle qu’il/elle voudrait l’entendre de la part de la totalité du groupe, et ne se contente pas de l’expérience sonore partielle de sa propre voix, dans la crispation inquiète d’une écoute individuelle, tournée vers soi, comme le seul fragment d’un tout. Faire tout le son, pas une partie du son !

Le résultat est significatif. D’abord parce que l’autonomie du chanteur comme sa capacité d’écoute s’en trouvent renforcées. Ensuite parce que la sonorité de l’ensemble gagne en densité, en rondeur, en plénitude. Avec pour effet, par la jouissance de l’écoute attentive, de renforcer le son commun dans le faisceau des voix individuelles.

Le point d’appui

« On dit que vous n’avez pas de points de vue ? »

« J’estime qu’un point d’appui a plus d’importance. »

« Et on vous reproche de ne pas indiquer de chemin à la jeunesse. »

« Ne me considérez pas comme un poteau indicateur, mais comme une carte de géographie. Ce qui complique ma tâche, et celle des autres. Mais cela nous mènera plus loin. Au reste, nous ne souffrons pas d’un manque, mais d’un excès de poteaux indicateurs. »

Ernst JÜNGER, Graffiti, p.144

Accompagner

Claude LEFORT, dans une conférence qu’il a donnée le 17 novembre 2007, rappelle: dans toute démarche herméneutique, dans tout travail d’interprétation (d’un texte, d’un programme, d’une injonction,…), nous devons renoncer au projet de maîtriser le texte mais plutôt choisir l’accompagnement de sa signification. Il nous faut accompagner le sens et non vouloir le maîtriser.

Par analogie, je travaille sur ce geste d’interprétation: accompagner la ligne musicale et non pas vouloir en prendre possession. Physiquement, il est très important de figurer le geste de l’accompagnement, quand le bras s’arrondit pour laisser le passage, ou quand le bras s’offre pour accorder le pas, … etc.
Constamment , je reprends ce travail de l’accompagnement : ne prenez pas votre voix en otage, ne cherchez pas à maîtriser le son ou la musique, mais ayez simplement ce geste d’accueil, de soutien, … La sonorité de l’ensemble en est transformée. Mais – en répétition, et souvent ! – il faut absolument le geste.

Le chant en consonance avec l’univers

Je note chez Bruno Pinchard:

La vibration est un aller-retour entre des termes, entre des extrêmes. Elle est un formant de la matière physique mais aussi une émotion d’une intimité absolue.

Façon subtile de signifier à la fois l’espace de partage émotionnel et l’échange vibratoire avec le monde qui nous entoure. Le chant est d’abord une transformation irréversible du silence – le monde d’après le son n’est plus le même, il a été transformé – physiquement, puisque l’on sait que, réellement, l’énergie libérée par un mouvement, une vibration infime de l’air (théorie du papillon : le rôle de la vingtième décimale dans la gestion des prévisions), peut modifier radicalement notre environnement. Le chant met aussi en mouvement (émeut) l’être intime, du chanteur et de l’auditeur.

Pinchard encore  (F.Culture, 25/11/04):

La musique est ce basculement par excellence, où l’on passe de l’extrême subjectivité à l’extrême objectivité. La musique nous délivre de ce que nous pourrions avoir de narcissique dans l’expérience intérieure .

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