La transmission

Dans une émission du samedi matin [en novembre 2007], animée par Alain Finkielkraut, Alain-Gérard SLAMA évoque la littérature. En vieillissant, dit-il en substance, je mesure de plus en plus que la littérature est le fondement, le tissu, le lieu d’une sociabilité réelle.

Il se refuse à utiliser le mot appartenance. Il fait en quelque sorte l’éloge de la transmission. Moi-même, je m’y reconnais, je suis l’héritier de cette tradition. Mes parents étaient tous les deux des lecteurs et ils m’ont transmis cette culture, par leur amour des livres et de la lecture. J’ai réalisé, il y a quelques années, que mon travail de direction de chœur était aussi largement animé par ce souci de la transmission. Et que l’objet en était un héritage que je sens à la fois extraordinairement partagé – le chant polyphonique est une pratique d’un grand nombre de peuples du monde, même s’il est profondément discrédité par une société marchande qui assure la promotion et la vente de produits culturels pré-formatés, et singulier – parce que j’y trouve ce qui fait mon caractère et mon plaisir de l’accord. Finkielkraut allait plus loin, dans où une voie où je refuse de le suivre : il parlait des professeurs d’aujourd’hui, en charge de la transmission de la culture classique, comme des membres d’une ONG humanitaire qui ne travaillent plus dans l’ordre de la transmission mais dans l’ordre de la pitié. Consternant ? … Terrifiant !

Le Potlach

Dans le film d’Eric Pauwels, qu’il a précisément intitulé Les films rêvés (2009), [disponible sur Universciné], à 7’30 », Jean ROUCH parle du Potlach:

C’est le fait de partager le surplus. Et nous avons tous un surplus de rêve, de moyens, de nourriture, … qu’il faut partager. Et pour moi c’est une chose complètement essentielle, c’est le gaspillage nécessaire. Il est nécessaire de gaspiller son énergie et ses richesses à une seule condition, c’est gaspiller avec des gens qui feront la même chose la prochaine fois.

Je note: intéressant de mettre en rapport ce gaspillage nécessaire avec la pratique amateur, avec le désir de partager le surplus (notre temps libre, notre talent, notre liberté d’artiste, …). Quelquefois, le Potlach est en échec, parce que les personnes qui participent au même projet ne sont pas prêtes à faire la même chose la prochaine fois. J’ai parfaitement expérimenté cette situation, dans laquelle le déséquilibre des échanges finit par hypothéquer tout projet. La réponse se trouve aussi dans la responsabilité partagée. La pratique collective est un espace de responsabilité collective. J’ai souvent répété: le groupe vous apporte ce que vous venez chercher quand vous lui apportez ce que vous attendez de lui. En d’autres mots: le collectif vous rend ce que vous contribuez à construire du collectif.

Faire groupe

La rencontre offre la possibilité de faire groupe. La rencontre, non pas comprise comme la constitution d’une grégarité indéterminée, floue1, mais celle de la confiance partagée. Voyez à ce sujet la petite note sur la proposition d’Isabelle Stengers, de faire confiance, plutôt qu’avoir confiance. Dans la pratique artistique collective, la combinaison des individualités et du collectif, même dans la confrontation, est essentielle.

Ernst JÜNGER2 illustre ceci encore d’une autre manière:

Si je plante trois arbres tout près l’un de l’autre, dans une prairie, ils ne constitueront pas seulement un groupe, mais entreront aussi en relations réciproques. Ils laisseront dégénérer celles de leurs branches qui se tournent vers l’intérieur; vers le dehors, elles croîtront tant qu’elles retomberont jusqu’à terre.