Ce que je fais m’apprend ce que je cherche

Je relis et extrais des notes du Journal IV de Charles Juliet. Je suis frappé de la coïncidence lorsqu’il cite Soulages: Ce que je fais m’apprend ce que je cherche.

Il ajoute: Impossible de dire plus brièvement ni avec des mots plus simples que peindre – écrire – c’est aller au devant de ce qui cherche à venir au jour, et à travers cela, au devant de la découverte de soi. C’est aussi dire dans le même temps que l’oeuvre ne peut en aucun cas procéder d’une idée qui lui préexisterait. Elle doit s’élaborer au fur et à mesure qu’elle prend forme.

Dans un article précédent [La découverte progressive de l’inattendu], je notais combien le chemin était plus important que le but, combien la découverte dépassait l’idée préconçue. La formule de Soulages trouve à s’illustrer dans toute forme de création. Juliet le notait pour l’écriture, elle m’apparaît tout aussi évidente pour la musique.

Le processus de création

P1060132Le 22 mai 2015, Fernando Solanas, cinéaste, artiste, était l’invité de Laurent Goumarre dans une émission de France Culture [Le Rendez-vous].

Il parle longuement de la création, du processus de création et du sentiment, rare, de parfois toucher au but. Il dit: À de rares moments, on peut boire un verre de vin avec Dieu.

Je note au vol cette magnifique expression. Belle rencontre.

 

Le sens

J’ai déjà noté quelque part, il y a pas mal de temps, comment pour moi « la musique d’ensemble (…) est la manifestation de notre façon de vivre ensemble, de créer du lien, d’établir et de conforter le sens – comme direction et signification. »

Il paraît évident de rappeler pourtant que si le mot « sens », c’est la direction [vers un but, une destination, un projet, …], si c’est aussi la signification [qui fonde notre pratique, dans la compréhension des autres et l’appréhension subtile de notre propre engagement], c’est encore [devrais-je dire, d’abord ?] la sensualité: la musique, la danse, l’expression artistique quelle qu’elle soit, ont un lien indéfectible avec le corps, en tant que présence active, jouissante, heureuse [ce qui n’exclut pas la douleur, la peur, le désespoir parfois].

πρóληψις / prolepse

(…) En ce point précis, s’attache l’horizon et se crée, dans le cerveau, un lien qui, sans cela, ne se serait jamais noué. Il n’est pas seulement question de nourrir la pensée, mais d’établir des liens nouveaux à partir de l’existant. Un artiste est peut-être quelqu’un qui en raison de sa sensibilité, pressent que s’il va dans telle direction, se planter des heures devant tel tableau, écouter en boucle telle oeuvre musicale, voir telle sculpture, lire tel livre, voir tel océan, tel volcan, tel pays, telle personne, à tel moment et pas à un autre, un lien s’opérera dont il devine qu’il lui est nécessaire – vital, devrais-je dire, et qui sans cela, ne se serait jamais noué.

Nadine Ribault, Carnets des Cornouailles, p. 48

Encore une fois, les liens, les échos, mais ici – avec quelque chose de plus: cette notion de l’anticipation, de la prescience, de l’intuition. Non seulement, la faculté de voir et d’entendre ces fameux coups de sifflet du réel, mais de les imaginer, de n’imaginer qu’eux, de ne pas pouvoir envisager autre chose que ce principe, et s’y soumettre complètement.
N. Ribault ajoute:  C’est un savoir d’une force extrême.

Prolepse [subst.féminin]: (…) les principes que l’âme contient originairement, et que les objets externes réveillent seulement dans les occasions / des assomptions fondamentales, ou ce qu’on prend pour « accordé d’avance ».
Lalande, Vocabulaire technique et critique de la philosophie.