πρóληψις / prolepse

(…) En ce point précis, s’attache l’horizon et se crée, dans le cerveau, un lien qui, sans cela, ne se serait jamais noué. Il n’est pas seulement question de nourrir la pensée, mais d’établir des liens nouveaux à partir de l’existant. Un artiste est peut-être quelqu’un qui en raison de sa sensibilité, pressent que s’il va dans telle direction, se planter des heures devant tel tableau, écouter en boucle telle oeuvre musicale, voir telle sculpture, lire tel livre, voir tel océan, tel volcan, tel pays, telle personne, à tel moment et pas à un autre, un lien s’opérera dont il devine qu’il lui est nécessaire – vital, devrais-je dire, et qui sans cela, ne se serait jamais noué.

Nadine Ribault, Carnets des Cornouailles, p. 48

Encore une fois, les liens, les échos, mais ici – avec quelque chose de plus: cette notion de l’anticipation, de la prescience, de l’intuition. Non seulement, la faculté de voir et d’entendre ces fameux coups de sifflet du réel, mais de les imaginer, de n’imaginer qu’eux, de ne pas pouvoir envisager autre chose que ce principe, et s’y soumettre complètement.
N. Ribault ajoute:  C’est un savoir d’une force extrême.

Prolepse [subst.féminin]: (…) les principes que l’âme contient originairement, et que les objets externes réveillent seulement dans les occasions / des assomptions fondamentales, ou ce qu’on prend pour « accordé d’avance ».
Lalande, Vocabulaire technique et critique de la philosophie.

Le centre

Si l’artiste véritable paraît distrait, c’est qu’il est concentré: tout entier tourné vers ce centre vers quoi il ne cesse de se diriger, vers ce centre où il parvient à se tenir parfois, mais vers lequel il doit sans cesse faire effort pour retourner parce que ce centre, sans cesse, se dérobe.

François DEBLUË, in Conférence n° 32, p. 20

 

Parlons sérieusement

J’emprunte à Jean SUR: Tout le monde sait qu’il faudrait commencer à parler sérieusement et que personne ne voudra le faire. Il ajoute, plus loin – ou ailleurs: Les intuitions fortes s’expriment rarement de façon paisible …

J’aime considérer que, bien en amont des techniques, des méthodes, du temps, … il faut vouloir chercher ce qui fonde la pratique, vraiment. Pour moi, ce qui est premier : la posture du musicien, de l’artiste. La « culture » de ce type de pratique est bien moins développée en France, par arrogance imbécile, que dans d’autres pays, où la pratique musicale est infiniment mieux reconnue, … La démonstration (extrême, je vous le concède) en est faite ici.

Je revendique donc de prendre notre pratique artistique au sérieux.

Depuis des années, je ne veux plus travailler qu’avec des gens qui prennent au sérieux leur pratique musicale, qui la reconnaissent pleinement pour ce qu’elle est, qui apprennent donc à la connaître, qui en acceptent les contraintes, … avec soin, avec modestie, avec attention, avec dévouement, avec patience, avec la volonté de grandir, avec la folie de qui s’attaque à un projet jamais fini, jamais achevé, … Ce que je considère comme la posture de l’artiste véritable.

Si l’artiste véritable paraît distrait, c’est qu’il est concentré: tout entier tourné vers ce centre vers quoi il ne cesse de se diriger, vers ce centre où il parvient à se tenir parfois, mais vers lequel il doit sans cesse faire effort pour retourner parce que ce centre, sans cesse, se dérobe.

François DEBLUË, in Conférence n° 32, p. 20

L’artiste, le créateur, le spectateur

Pour être un artiste, il faut le talent, la chance, le travail. Mais c’est le spectateur qui fait l’art.

A l’occasion du Forum Culture Lille 2004 (La culture, une exigence collective, Lille le 16 décembre 2004), Jean-Pierre Vincent, comédien et metteur en scène, apportait cette précision: si le spectateur ne fait pas l’art, s’il n’est pas créatif, il est déçu. Il faut donc faire en sorte de laisser cette porte ouverte, pour que le spectateur soit un créateur.

J’ajoute que, dans la musique notamment, mais dans d’autres formes d’expression artistique, l’émotion est le vecteur majeur de cette possibilité.

J.P.Vincent ajoutait: il est important de ne pas faire de pédagogie. C’est l’art lui-même qui est pédagogue, et s’il apprend à comprendre, à se représenter le monde, c’est parce qu’il est un regard d’ailleurs, une folie, … Il faut qu’il reste cet ailleurs.

Nabil El Haggar, vice-président de l’USTL, poursuivait: la culture est une façon de comprendre le monde. Il y a beaucoup de gens qui veulent transformer le monde, mais peu qui font la démarche de le comprendre.

L’exercice de la culture est lié à l’exercice de la démocratie. La volonté de comprendre, de construire une représentation du monde, plurielle, venue d’ailleurs, en mouvement, est un préalable à tout exercice de transformation du monde (c’est mon commentaire).