La vapeur du riz

Qi signifie littéralement « souffle », « énergie » (étymologiquement, le caractère désigne la vapeur du riz en train de cuire). Au sens large et profond, il désigne l’élan vital, le dynamisme interne de la création cosmique. La tâche suprême de l’artiste consiste à capter cette énergie dans le macrocosme, et à l’injecter dans le microcosme de son oeuvre. Dans la mesure où il réussit à animer sa peinture de ce souffle universel, son activité même reproduit celle du Créateur cosmique.

Simon LEYS, La forêt en feu

L’allégresse

C’était là précisément le but que se proposait Nigromontan. Sa méthode ne visait point, comme celle des grandes écoles, à la recherche, mais à la trouvaille. Aussi se distinguait-il par cette sorte d’assurance qu’il avait que chacune de nos démarches, fût-elle apparemment la plus vaine, la plus dépourvue d’intention, est riche d’un fruit particulier, comme la noix de son contenu ; et il demandait qu’avant de s’endormir on ouvrît dans sa mémoire le jour comme un coquillage. De tels exercices étaient destinés à montrer que le monde aussi dans son ensemble est composé à la manière d’une image énigmatique, que ses mystères s’étalent librement à sa surface et qu’il n’est besoin que d’une minime adaptation de l’œil pour contempler dans leur plénitude ses trésors et ses miracles. Il citait volontiers la parole d’Hésiode, qui veut que les dieux cachent aux mortels les nourritures, la fécondité du monde étant telle que le travail d’une seule journée suffit pour assurer toute une année de récoltes. Il suffit aussi d’un instant de méditation pour découvrir la clé qui mène à des trésors où l’on pourrait puiser sa vie durant ; et, pour rendre ceci plus sensible, il évoquait les simples inventions dont plus tard chacun dit qu’un enfant les eût trouvées. Volontiers aussi il nous renvoyait à l’imagination : sa fécondité était un symbole de la fécondité du monde, mais les hommes vivaient comme des créatures mourant de soif au-dessus de sources d’une force inépuisable. Un jour il dit aussi que le monde nous était livré comme les vingt-quatre lettres, et qu’il dépendait de notre écriture qu’il crût et devînt image. Mais il fallait être pour cela vrai créateur, et non point scribe. (…)  Comme indices de l’apparition du moment privilégié, il désignait l’étonnement, puis l’allégresse.

Ernst JÜNGER, Le coeur aventureux, p. 141 ss. ‘Les images énigmatiques’, notamment p. 145-146

L’artiste, le créateur, le spectateur

Pour être un artiste, il faut le talent, la chance, le travail. Mais c’est le spectateur qui fait l’art.

A l’occasion du Forum Culture Lille 2004 (La culture, une exigence collective, Lille le 16 décembre 2004), Jean-Pierre Vincent, comédien et metteur en scène, apportait cette précision: si le spectateur ne fait pas l’art, s’il n’est pas créatif, il est déçu. Il faut donc faire en sorte de laisser cette porte ouverte, pour que le spectateur soit un créateur.

J’ajoute que, dans la musique notamment, mais dans d’autres formes d’expression artistique, l’émotion est le vecteur majeur de cette possibilité.

J.P.Vincent ajoutait: il est important de ne pas faire de pédagogie. C’est l’art lui-même qui est pédagogue, et s’il apprend à comprendre, à se représenter le monde, c’est parce qu’il est un regard d’ailleurs, une folie, … Il faut qu’il reste cet ailleurs.

Nabil El Haggar, vice-président de l’USTL, poursuivait: la culture est une façon de comprendre le monde. Il y a beaucoup de gens qui veulent transformer le monde, mais peu qui font la démarche de le comprendre.

L’exercice de la culture est lié à l’exercice de la démocratie. La volonté de comprendre, de construire une représentation du monde, plurielle, venue d’ailleurs, en mouvement, est un préalable à tout exercice de transformation du monde (c’est mon commentaire).