Une maison de campagne

Vous savez ce que c'est que d'ouvrir une maison de campagne. Vous faites irruption avec votre carton de provisions et votre grand sac de livres. Vous les abandonnez dans un coin et vous vous précipitez vers la fenêtre du côté opposé pour regarder au-dehors. Entrer dans une maison de campagne, c'est comme une naissance, à la différence que nous ne naissons pas avec un grand carton de provisions et un grand sac de livres, à moins qu'on ne considère ces derniers comme des symboles métonymiques de la culture. Ouvrir une maison de vacances, c'est naître dans les conditions suivantes: au moment où l'on pénètre dans la maison, on a tout le temps dont on disposera jamais.

Annie Dillard, Apprendre à parler à une pierre.

En souvenir des maisons de campagne que j'ai occupées avec bonheur dans les quinze dernières années: Saint-Théodard, La Rivière, Le Chaticot.

Le pays du présent

(…) Le pays du passé regorge en effet de lieux riches en enseignement.

On rencontre également bon nombre de ces endroits dans le pays du présent, autant d’objets matériels et de régions, naturellement constitués ou bâtis par l’être humain, dont la myriade d’agencements locaux façonne les environnements de la vie quotidienne. Mais ici, maintenant, dans le monde en cours accompagné des ses préoccupations et perspectives actuelles, ces lieux ne sont pas considérés comme des souvenirs du passé. Lors des rares moments où l’on daigne y prêter attention, on perçoit au contraire ces lieux à l’aune de leurs aspects extérieurs – comme des lieux familiers déterminés par leur surface manifeste -, et à moins que ne survienne un événement qui viendrait ébranler ces perceptions, ils demeurent perpétuellement livrés à eux-mêmes. Puis un événement survient bel et bien. Peut-être remarque-t-on un arbre récemment tombé, une trace de peinture écaillée, ou encore une maison qui se dresse là où il n’y en avait pas auparavant – toute perturbation, qu’elle soit significative ou infime, témoignant du temps qui passe -, et un lieu révèle alors les relations qu’il entretient avec des événements passés. A cet instant précis, lorsque l’étau des perceptions ordinaires se desserre peu à peu, une frontière est franchie et le paysage se met à changer. Notre état de conscience s’est modifié, et ce lieu désormais transfiguré par l’évocation d’une époque plus lointaine revêt subitement une apparence inédite et incongrue.

Keith BASSO, L’eau se mêle à la boue dans un bassin à ciel ouvert, p. 26

Pour moi, l’écho avec Annie Dillard [Le présent], Henri Thomas [La perception comme filtre].

Les nuages de G.M.Hopkins

C’est Annie Dillard qui, à la rubrique Nuages (Au présent, page 119), évoque les descriptions de ciels de Gerard Manley Hopkins. Je me rappelle, en effet, les avoir lues dans son Journal (1866-1875) publié par les éditions William Blake à Bordeaux. Elles sont magnifiquement évocatrices, d’un talent fou. La date précise, parfois au jour près, assortie d’une description aussi fine, est comme un puissant appareil nous projetant tout vivants dans le passé.

En voici quelques-unes.

1866
1er juillet

Tard dans l’après-midi, la lumière et l’ombre étant très violentes, le ciel se recouvrit d’une file de nuages en formes de blocs neigeux, et, au-dessous du soleil, le long de la ligne d’horizon, il y eut une multitude de chaînons contrariés, étincelants et frisottés, noyés d’ombres perlées. Le soleil s’est couché dans un bas-fond gris parsemé de taches et de nuées d’or humide, et l’horizon courbe était pavé de nuages lisses, couleur de plomb évidemment, mais plus ou moins ocrés et roses à leur partie supérieure. Des langues et des rayons entrelacés, combinés avec des boules obliques et floconneuses, s’y faufilaient. Traversant ces nuages-là d’autres nuages roses, comme des enclumes et des formes soufflées, verticales, laineuses toisons à sommet plat, menaçantes. Continuer la lecture de « Les nuages de G.M.Hopkins »

Un peu de violence

La merveilleuse finesse de Annie Dillard !

Il ne se passera rien dans ce livre. Il y a simplement un peu de violence çà et là dans le langage, à ces carrefours où l’éternité épingle le temps.

[Voilà qui évoque aussi William Blake: L’éternité est amoureuse des productions du temps.]

Annie Dillard, Pélerinage à Tinker Creek