Un seul art

Difficile, pour un homme ordinaire, de pratiquer deux arts à la fois. Ils sont rares ceux qui ont pu développer deux pratiques artistiques, et ce n’est pas par hasard qu’on se souvient du violon de monsieur Ingres … Plus près de nous, une artiste qui me touche et dont j’admire le talent, Juliette Binoche, est à la fois comédienne, danseuse et peintre. Mais, à l’écouter et à la suivre, on comprend qu’en toutes choses elle a placé un travail considérable, avec une énergie et une détermination dont peu sont capables. En tout cas, pour un praticien amateur qui n’a pas la possibilité de se consacrer entièrement à son travail artistique parce qu’il exerce par ailleurs un métier1, une seule pratique artistique, c’est beaucoup.

C’est beaucoup, parce que l’engagement réel, approfondi, qui aboutit à une véritable maîtrise, requiert énormément d’énergie. Et, en tout premier lieu, une attention constante, une écoute et une ouverture à tout ce qui peut alimenter la pratique de cet art. Je m’oppose à ceux qui veulent faire croire que certaines pratiques sont plus faciles que d’autres et demandent donc beaucoup moins de travail. Il existe, dans le milieu choral français, une imposture assez répandue, qui voudrait faire croire que le chant choral est facile, sous prétexte que l’accès en est aisé: aucun instrument à acquérir; l’embarras du choix pour trouver un groupe qui vous accueille, quel que soit votre niveau de départ. Continuer la lecture de « Un seul art »

Etre quelqu’un d’autre

Ce n’est pas par hasard que la formulation « être acteur » est ambigüe, polysémique. Pour être un acteur, il faut d’abord être acteur de sa propre vie, de son propre rôle, donc y être actif. C’est le travail personnel, l’engagement, la posture, …. La pratique artistique est celle d’un acteur/actif. Tout à la fois, il est manifeste que la posture du chanteur/interprète est bien à l’identique de celle de l’acteur/comédien. Comme l’écrit Richard Powers, il s’agit d’être soi-même et quelqu’un d’autre ; quelqu’un d’autre en plus de soi-même. Donc, être capable d’excéder sa singularité, en « comprenant » l’autre, au sens fort du mot compréhension, dans l’attention extrême, l’intégration du son et du sens.

Tu dois devenir le porte-parole, l’instrument d’un autre. Un autre avec ses peurs, ses besoins, différents des tiens. Si tu te renfermes sur toi-même alors l’art peut aller se faire foutre. Si tu n’es pas capable d’être quelqu’un d’autre en plus de toi-même, ce n’est même pas la peine d’envisager de monter sur scène.

Richard POWERS, Le temps où nous chantions, p. 424