Les polyphonies du monde

Trop souvent, on ne vit pas. (…) Il est vrai que nous accordons bien rarement au monde la présence fervente et inconditionnelle qu’il attend et mérite. Nous prêtons une oreille distraite, une perception monodique à la polyphonie de ses menaces ou de ses liesses. Par insuffisance centrale et prudence nous nous tenons à distance de ces vastes zones magnétiques où une héraldique secrète que notre incuriosité nous dérobe se manifeste, où justement ces polyphonies résonnent. Pour retrouver le chemin de ces champs de force, chacun a son itinéraire et ses « sésames »: l’opium, l’absinthe, l’érotisme, l’ascèse, l’écriture ou l’errance, aucune de ces démarches ne possédant d’ailleurs le droit de toiser et d’exclure les autres.

Nicolas BOUVIER, Œuvres complètes, p. 1054

Voici ce que je comprends comme le fondement de la démarche intellectuelle: celle de l’insatiable curiosité dont il est ici question. Et la racine aussi de toute démarche artistique. La question qu’il éveille alors: comment entrer dans ces « vastes zones magnétiques », quel sésame prononcer pour pénétrer la richesse du monde, pour ne pas rester en superficie comme un simple spectateur – même émerveillé – mais y prendre place comme acteur et praticien ?

L’artiste, le créateur, le spectateur

Pour être un artiste, il faut le talent, la chance, le travail. Mais c’est le spectateur qui fait l’art.

A l’occasion du Forum Culture Lille 2004 (La culture, une exigence collective, Lille le 16 décembre 2004), Jean-Pierre Vincent, comédien et metteur en scène, apportait cette précision: si le spectateur ne fait pas l’art, s’il n’est pas créatif, il est déçu. Il faut donc faire en sorte de laisser cette porte ouverte, pour que le spectateur soit un créateur.

J’ajoute que, dans la musique notamment, mais dans d’autres formes d’expression artistique, l’émotion est le vecteur majeur de cette possibilité.

J.P.Vincent ajoutait: il est important de ne pas faire de pédagogie. C’est l’art lui-même qui est pédagogue, et s’il apprend à comprendre, à se représenter le monde, c’est parce qu’il est un regard d’ailleurs, une folie, … Il faut qu’il reste cet ailleurs.

Nabil El Haggar, vice-président de l’USTL, poursuivait: la culture est une façon de comprendre le monde. Il y a beaucoup de gens qui veulent transformer le monde, mais peu qui font la démarche de le comprendre.

L’exercice de la culture est lié à l’exercice de la démocratie. La volonté de comprendre, de construire une représentation du monde, plurielle, venue d’ailleurs, en mouvement, est un préalable à tout exercice de transformation du monde (c’est mon commentaire).