Motivation – mouvement

  On dit souvent qu’il y a démotivation parce qu’il y a perte de confiance. Or il ne s’agit pas seulement d’une perte de confiance, mais bien d’une perte de croyance, c’est-à-dire de motifs. La démotivation est l’exténuation d’un modèle de la raison qui a été transformée en ratio, c’est-à-dire en calcul : en comptabilité. Les techniciens qui formulent des ratios sont les experts du contrôle de gestion, et ils mettent en œuvre une conception unilatérale de la raison comme ratio, qui, sans être équilibrée par d’autres motifs que le seul calcul de rentabilité, c’est-à-dire de performance, conduit à la destruction de la raison comme motif. La raison n’est pas le ratio. Le ratio est une compréhension calculatoire de la raison qui n’est pas fausse, mais qui est pauvre et insuffisante. La raison est la motivation : c’est ce qui met en mouvement. C’est ce qui émeut et c’est ce qui suppose une croyance dans un motif.

Bernard STIEGLER, Constituer l’Europe II, pp.66-67

Le développement personnel

C’est un truisme que de dire, comme tant l’ont fait, que la pratique artistique est un formidable vecteur de développement personnel. Cependant, je pense qu’il est indispensable de le répéter – parce que cela semble dépourvu d’évidence pour les organisateurs de l’éducation nationale; et pour apporter ici un éclairage un peu différent.

La pratique artistique ouvre deux portes: celle du développement de la singularité et celle de l’expression de l’intime.

La singularité.

J’emprunte à Charles Juliet la belle formule: Dissoudre le moi, laisser advenir le soi.  Ou comment la pratique d’un art peut être comprise comme un processus de développement de la singularité (le soi) contre l’individualité (le moi)1. Nous vivons dans un monde plein de contradictions, dont celle-ci – qui n’est pas la moindre et dont les dégâts sont considérables: jamais les techniques du soin de soi n’ont été autant développées alors qu’en même temps tout est mis en oeuvre pour assurer la promotion d’une souveraineté pathologique du moi (P.Virilio).2 Continuer la lecture de « Le développement personnel »

Chercher l’inespéré

Cynthia FLEURY, 35 ans, est philosophe, professeur à l’IEP et à l’Ecole Polytechnique de Paris.

Dans une interview donnée au Monde.fr, le 23 octobre 2010, elle plaide en faveur d’un compromis démocratique.

Elle souligne que ce serait une erreur de considérer que les élites – issues du pouvoir représentatif – sont seules légitimes. « Dans les démocraties modernes, il y a d’un côté des citoyens éclairés, des citoyens responsables, et de l’autre des élites éclairées, des élites responsables. Le dénigrement systématique ne mène à rien. La démocratie, ce n’est pas la réciprocité des mépris. »

J’admire l’intelligence et la clairvoyance de cette jeune femme. Et son engagement quand elle affirme la nécessité, pour sortir des crises dans lesquelles nous nous trouvons, de ré-inventer la démocratie. Elle cite cette très belle phrase d’Héraclite: Si tu ne cherches pas l’inespéré, tu ne trouveras rien.
Elle note, comme le fait Bernard Stiegler à sa manière [voir Ars Industrialis], que nous faisons face à une exigence de pluralité et de complémentarité des légitimités, à un impératif d’invention démocratique. Aujourd’hui, les réseaux – de trans-individuation selon le terme utilisé par Stiegler, sont des outils extraordinairement créatifs, productifs, pour alimenter une production collective, plurielle, de la raison publique et du pouvoir d’Etat. Fleury dit croire aux majorités qualifiées citoyennes qui peuvent surgir de ces réseaux sociaux, et renouveler notre exercice de la démocratie.

La bêtise

©PHOTOPQR/L’ALSACE/Thierry Gachon

 

 

 

 

 

Ecoutez ici Nancy Huston:

Le 30 mai 2005, Nancy Huston publiait ce texte, dans lequel elle demandait la libération de Florence Aubenas. Très beau texte, sur une thématique qui m’intéresse depuis longtemps. Je ne trouve rien de plus effrayant que la bêtise, quand on peut résister à tout, à la cruauté, à l’ignorance, à l’intolérance. Mais pas à la bêtise, à ce que Flaubert nommait « le front de boeuf de la bêtise. »

Il y a, par aillleurs, des textes magnifiques sur la bêtise, des pensées riches. Prenons simplement ceux-ci: Stiegler, Deleuze, et puis Bobin, pour le dernier mot.

Seule une lutte contre la bêtise imposée par le contrôle du temps de cerveau disponible, càd par le populisme industriel, constitue une véritable possibilité de « réenchanter le monde »: de le rendre désirable, et par là de rendre à la raison son sens premier de motif de vivre (…): la raison comme sens de l’existence (et en cela comme sens de l’orientation).

Bernard STIEGLER, Réenchanter le monde, notamment p. 17, dans le manifeste d’Ars Industrialis. Continuer la lecture de « La bêtise »