La parole contraire

En septembre 2013, la LTF, société de construction de la ligne TAV Turin-Lyon, annonce qu’elle a porté plainte contre Erri de Luca pour des phrases publiées par le Huffington Post Italie et l’Ansa (agence de presse italienne). Erri de Luca est mis en examen pour « avoir incité publiquement à commettre un ou plusieurs délits et infractions (…) ». La plainte porte sur le fait d’avoir utilisé le mot « saboter ». L’article qui le cite écrit : « Je reste persuadé que la TAV est une entreprise inutile et je continue à penser qu’il est juste de la saboter ».

Début 2015 paraît aux éditions Gallimard un petit livre de 40 pages, intitulé La parole contraire. Erri de Luca y défend son droit à cette parole contraire, à la liberté d’expression, la liberté d’utiliser les mots dans toute leur richesse, dans toutes leurs acceptions, refusant la contrainte du sens unique.

Il note, dans cette belle image, explicite : (…) l’accordéon des droits se resserre parfois jusqu’à rester sans souffle. Mais ensuite les bras s’étirent et l’air revient dans le soufflet. (…) Dans ce procès, le droit de la parole publique est serré au point le plus fermé de l’instrument en accordéon qu’est une démocratie. Et pourtant les temps changent, qu’on le veuille ou non. Chacun d’entre nous a le choix d’y prendre part, droit souvenir, ou bien de laisser aller les temps à leur dérive et de rester à l’abri.

Il fait la distinction entre une liberté de parole (celle qui est obséquieuse est toujours libre et appréciée) et la liberté de parole contraire, dont il revendique le droit constitutionnel.

Non seulement le droit, mais le devoir : Si je ne parlais pas, si je me taisais par convenance personnelle, préférant m’occuper de mes affaires, les mots se gâteraient dans ma bouche.

Belle leçon à écouter et à mettre en œuvre dans ces temps de doute et de faiblesse de la pensée !

Pour suivre les nombreux soutiens à Erri de Luca, c’est ici : Iostoconerri.

Les dissidents

Arte diffusait [le 5 mai 2010] un documentaire de Ruth Zylbermann sur la dissidence en Europe de l’Est, intitulé Dissidents, les artisans de la liberté.

Judith Lyon-Caen commente cette diffusion sur La Vie des Idées 1.

(…) Si la dimension narrative et pédagogique demeure fortement présente (il s’agit d’un documentaire d’histoire coproduit par Arte), l’écriture du film, les entretiens menés avec des acteurs importants de la dissidence polonaise, hongroise et tchèque, le choix et le montage des documents d’archives ouvrent vers un autre questionnement : celui de l’engagement, non seulement comme geste moral et politique, mais aussi comme disposition intime, mouvement intérieur. Qu’est-ce qui fait que, à un moment donné, le présent devient insupportable et que l’on y résiste ? D’où vient ce qu’on appelle le courage ? Comment et pourquoi un individu entre-t-il dans le temps de l’histoire ? (…)

A ce sujet, je notais: ce serait un malentendu de croire que leur témoignage alimente le triomphalisme des sociétés dites libérales, dans leur lutte contre les dictatures communistes. Bien au contraire, ce que les dissidents nous apprennent, ce dont ils témoignent avec une force et une conviction dont nous avons perdu la source, ce sont précisément les ressorts de la lutte toujours engagée, toujours renouvelée, contre les dictatures, et singulièrement contre celles qui, aujourd’hui encore montent en Europe et dans le monde, les dictatures des extrémismes, des nationalismes exacerbés, des replis identitaires, de l’enfermement des classes les plus riches sur leurs revenus, même illicites, au mépris des valeurs de la liberté, de l’égalité et de la fraternité, au nom desquelles ces dissidents-là se sont battus pendant des années.