Un engagement politique

Depuis longtemps, j’ai acquis la conviction et j’ai vu se confirmer que la pratique artistique, singulièrement la pratique musicale collective, est une forme d’engagement politique, bien au-delà d’une simple acquisition technique dans le développement d’une virtuosité personnelle.

Engagement politique ? vraiment ? J’ai pu penser qu’il s’agissait d’abord d’un engagement éthique, mais je persiste aujourd’hui à le voir comme un véritable engagement politique, au sens du vivre ensemble. A.Negri disait que c’est l’action qui constitue le commun. La musique d’ensemble, en commun, a donc un rôle à jouer, un rôle politique et social. Elle est le témoignage actif de notre capacité à « sortir du cadre », à vivre une expérience qui ne peut être que collective, à toucher une dimension unique de notre humanité. Elle est la manifestation de notre façon de vivre ensemble, de créer du lien, d’établir et de conforter le sens – comme direction et signification.

Je revendique un parti pris. Continuer la lecture de « Un engagement politique »

Une exigence

Elle est belle, la vision de Cristina CAMPO, tout entière inspirée par Simone WEIL (La Pesanteur et la Grâce, les Cahiers). Dans son introduction aux lettres de C.Campo à R.Fasani (Conférence, n°32, p.151), Christophe Carraud rappelle comment l’écrivain ne pouvait trouver au fondement de la pratique de l’art qu’une exigence de beauté, d’attention et de responsabilité.

En écho, je note encore:

L’art transforme la pensée en rendant chacun conscient de son pouvoir créateur et permet de renouer avec l’exigence subjective universelle d’être et de s’affirmer par et pour soi-même, d’inscrire son être propre dans le monde naturel et humain, ce que ne permet ni la science ni la technique, ni le travail, rivés à l’universel abstrait ; l’art nous procure la joie de produire et de ressentir ce qui est le plus intime: l’amour de la vie et de sa mouvance inventive, le sens de l’universelle originalité du désir vécu de la liberté concrète. Ainsi, l’art défonctionnalise la vie et nous met en demeure de la changer pour en faire une source inépuisable de création et d’échanges sensuels, affectifs et intellectuels non utilitaires avec les autres et la nature.

Ainsi, les corps symboliques que crée l’artiste nous rappellent à la richesse de notre expérience la plus profonde: celle de notre sensibilité à la recherche infinie des significations les plus contradictoires de notre expérience intime, car c’est par cette recherche que ces contradictions adviennent au sens, c’est à dire à l’unité interrogative de la conscience de soi. En cela le plaisir esthétique est de reconnaissance ; encore faut-il pour l’éprouver ne pas avoir perdu le goût de la liberté, ce que la réalité triviale de la vie sociale s’emploie à faire tous les jours.

[Sylvain REBOUL, le 30/05/92]

Parlons sérieusement

J’emprunte à Jean SUR: Tout le monde sait qu’il faudrait commencer à parler sérieusement et que personne ne voudra le faire. Il ajoute, plus loin – ou ailleurs: Les intuitions fortes s’expriment rarement de façon paisible …

J’aime considérer que, bien en amont des techniques, des méthodes, du temps, … il faut vouloir chercher ce qui fonde la pratique, vraiment. Pour moi, ce qui est premier : la posture du musicien, de l’artiste. La « culture » de ce type de pratique est bien moins développée en France, par arrogance imbécile, que dans d’autres pays, où la pratique musicale est infiniment mieux reconnue, … La démonstration (extrême, je vous le concède) en est faite ici.

Je revendique donc de prendre notre pratique artistique au sérieux.

Depuis des années, je ne veux plus travailler qu’avec des gens qui prennent au sérieux leur pratique musicale, qui la reconnaissent pleinement pour ce qu’elle est, qui apprennent donc à la connaître, qui en acceptent les contraintes, … avec soin, avec modestie, avec attention, avec dévouement, avec patience, avec la volonté de grandir, avec la folie de qui s’attaque à un projet jamais fini, jamais achevé, … Ce que je considère comme la posture de l’artiste véritable.

Si l’artiste véritable paraît distrait, c’est qu’il est concentré: tout entier tourné vers ce centre vers quoi il ne cesse de se diriger, vers ce centre où il parvient à se tenir parfois, mais vers lequel il doit sans cesse faire effort pour retourner parce que ce centre, sans cesse, se dérobe.

François DEBLUË, in Conférence n° 32, p. 20

Être des praticiens

(…) Il nous vient alors l’idée sombre, exagérée certainement, que – malgré les années nombreuses à creuser notre sillon, faire des découvertes et entretenir des fidélités – personne ne nous attend.  C’est certes désolant pour le commerce, mais combien réjouissant pour l’esprit: quelle liberté ! Nulle commande à honorer, nulle contrainte extérieure à observer, nulle mission à remplir, seulement le plaisir de transmettre, des textes, des œuvres, en véritables amateurs. Voilà une tâche qui ne peut guère peser ni lasser, si l’on met de côté les dures questions d’économie. Personne ne nous attend: raison de plus pour poursuivre. Mettons de côté et poursuivons.

Prospectus des éditions Le Temps qu’il fait, n°55 (2005)

A transposer dans toute pratique amateur, la formulation: « personne ne nous attend » (que nous mêmes) – « nulle mission à remplir » (sauf celle que nous nous donnons à nous-mêmes). Ce qui ne veut pas dire: rien, mais ce qui donne la mesure de l’exigence, pour autant qu’on en ait pour soi-même.