L’idiome fondamental

L’écriture constitue un cas à part, une technique particulière dans un ensemble sémiotique largement oral. (…) Mais nous ne connaissons aucune population sur cette planète, qui ignore la musique. (…) Elle est l’idiome fondamental de la communication de la sensibilité et du sens.

George STEINER, Les Logocrates

S’il nous arrive de parler au monde, le monde nous parle-t-il et s’il parle, parle-t-il de nous ?

Jacques LACARRIERE, Sourates

Le visage

Le visage. Notre visage. D’abord un effort. Un effort inouï, millénaire pour rassembler les yeux, la bouche, le nez sur une même face, pour affronter le monde autrement que par les yeux écartelés des non primates. Que serait le dialogue humain si nos yeux étaient isolés de chaque côté du front, incrustés sur nos tempes comme chez la plupart des espèces animales ? (…) Pourrait-on véritablement penser, méditer, se concentrer sans ce symposium de nos sens, sans cette confrontation frontale ? Un visage n’est-ce pas d’abord cela : un patient rendez-vous d’organes vers le concile plénier de notre face ?

Jacques LACARRIERE, Sourates, La sourate du visage

La révélation du visage est révélation du langage lui-même. Par conséquent, elle n’a aucun contenu réel, ne dit pas la vérité sur tel ou tel aspect de l’homme ou du monde : elle n’est rien qu’ouverture, rien que communicabilité. Marcher dans la lumière du visage, signifie être cette ouverture, la supporter.

Giorgio AGAMBEN

L’étonnement

Il y a deux façons d’éclairer le monde. La première est d’en dissiper l’obscurité, de chercher la vérité sous les faux semblants, d’en abolir les apparences au profit de la transparence. Mais de même que la lumière du jour dissimule les étoiles, la lumière de la raison recouvre les ombres du masque mensonger de la vérité. La seconde revient au contraire à consentir à l’opacité des phénomènes comme à l’altérité de l’Autre, à penser l’impensable, la différence, l’irréductible singularité de tout ce qui existe et dont on ne peut jamais vraiment rien dire. On y perd la vérité mais on y gagne en retour la franchise, la candeur et le sens de l’étonnement.

Raphaël Enthoven – F.Culture, 12/06/2008.