Le chaos-monde

Nous vivons dans un bouleversement perpétuel où les civilisations s’entrecroisent, ou des pans entiers de culture basculent et s’entremêlent, ou ceux qui s’effraient du métissage deviennent des extrémistes. C’est ce que j’appelle le chaos-monde.

On ne peut pas agir sur le moment d’avant pour atteindre le moment d’après. Les certitudes du rationalisme n’opèrent plus, la pensée dialectique a échoué, le pragmatisme ne suffit plus, les vieilles pensées de systèmes ne peuvent comprendre ce monde. Je crois que seules des pensées incertaines de leur puissance, des pensées du tremblement où jouent la peur, l’irrésolu, la crainte, le doute, saisissent mieux les bouleversements en cours. Des pensées métisses, des pensées créoles.

Edouard GLISSANT, Le Monde2, 31-12-2004

Castille

Juin 2012. Je me souviens de mon voyage à travers la haute Castille  – Valladolid, Palencia, Salamanca 1, Toro, Tordesillas, … – la cathédrale de Palencia, les châteaux-forts, la procession du « Corpus » à Medina de Rioseco, la petite église de Wamba avec son choeur mozarabe, ses chapiteaux romans, son ossuaire. Les petits édifices romans, dans les villages, si nombreux, si beaux, perdus au milieu de nulle part. Soufflait un vent glacé; du soleil par intermittence quand je roulais à travers la campagne entre Pollos et Fuentesaùco, sur le plateau désert. Les clochers de Salamanca émergent, bien visibles sur l’horizon alors qu’on descend à peine du plateau et que ce sont encore des champs partout. Où est la ville ? On y entre brutalement.  Continuer la lecture de « Castille »

La poésie est résistance

Dans une émission de l’été, sur France Culture2, Erri DE LUCA, parle de son recueil de poésie, Aller simple (Solo andata).3

Erri De Luca nous explique: La poésie a été la plus forte machine de résistance du 20e siècle, pour ceux qui n’avaient foi en aucun dieu.

Il raconte un épisode – qu’il considère comme fondateur, pour lui-même – de la vie d’Anna Akhmatova : elle est dans une file en attendant de pouvoir rencontrer son fils qui est en prison. Une femme se retourne vers elle avec un visage sur lequel était passé le 20e siècle avec la charrue. Elle demande à Anna : Ça, vous pouvez le décrire ? Et Anna répond : Oui, je peux.

C’est ça la poésie ; la responsabilité qu’elle se prend, par la bouche d’Anna, de répondre au « ça » de cette femme et du vingtième siècle.

L’indicible

J’entends par « indicible » le bleu du ciel cet après-midi, par exemple : c’est une expérience assez simple, celle d’un brusque manque de langue au moment où vous avez le plus envie de parler. (…) Je n’aurai pas capté ce bleu : ce sera pour un autre jour. Il ne s’agit pas d’inspiration, seulement d’être momentanément conducteur, pour laisser passer à travers soi et le réel et la langue. Peut-être fallait-il une situation légèrement différente, avec un peu plus de poids du réel, et une moindre surveillance de langue… Un début de fatigue, ou d’ivresse ? Étranges moments où l’on sait qu’un poème aurait pu s’écrire en déplaçant un peu les réglages intérieurs. Mais on ne sait ni quels réglages ni comment déplacer…

Antoine EMAZ, Cambouis

A de très nombreuses reprises, dans ses romans, André Dhôtel semble faire le même constat : Continuer la lecture de « L’indicible »