La maison de Jean

valerie-garelLa maison de Jean est un film de Valérie Garel. Un film sur son père, Jean Garel, et sur la vie de ce moulinage dont il avait hérité, qu’il a fait tourner jusqu’à la faillite, et qui a disparu avec lui. Le film est étrange mais remarquable, cruel mais admirable règlement de comptes avec un père, avec l’enfance, avec le passé.

J’ai eu la chance de rencontrer Valérie Garel cet été 2011, au Champ la Lioure. C’était une belle rencontre, qui ne s’oublie pas.

Je déambule à travers la propriété familiale en Ardèche, où cinq générations se sont succédé à la tête de moulinages, usines textiles qui fabriquaient la soie. C’est l’hiver. Le lierre s’enroule autour des fenêtres béantes. Le constat de délabrement avancé des bâtiments est cruel. J’évoque la vie de mon père, dernier patron du lieu, nos relations houleuses, et cela dès le jour de ma naissance ! Je me promène maintenant dans sa maison. Chaque pièce respire encore sa présence et témoigne de son goût pour les agencements insolites. Au fil de la narration se dessine un portrait, qui se révèle être le dernier. [Sednafilms – 2010]  – Voyez aussi le web, ici et encore .

Ce n’est qu’un début

Regardez ceci: Ce n’est qu’un début

Il y a quelques jours, quand j’ai placé cette bande-annonce, je pensais ne pas y ajouter un seul mot. Parce que ce film parle de lui-même et n’a besoin, je pense, – au moins pour ceux qui l’ont vu – d’aucun commentaire. Et puis, j’y reviens aujourd’hui, parce qu’il me semble important de dire à quel point ce film, l’expérience qu’il relate, me semblent exemplaires. Certains ont pu dire que « ça, ce n’est pas de la philosophie ». J’aimerais qu’on me dise alors ce qu’est la philosophie, toute philosophie possible quand on a 3 ou 4 ou 5 ans, et qu’on ne sait rien de la vie, mais déjà tout. Ces enfants sont extraordinaires, pense-t-on d’abord. Mais non. Ils sont tout simplement des enfants ordinaires à qui on apprend à parler, à penser, à écouter. Qu’est-ce qui nous manque donc, à nous, pour que nous soyons aveugles à ce point ? Qu’est-ce qui manque à ceux qui nous gouvernent, de quelle taie sont-ils aveuglés pour ne pas voir l’évidence ? Ce film est lumineux, absolument lumineux, tellement lumineux qu’il en est éblouissant. Et il a tout simplement le mérite de nous montrer que c’est nous qui ne savons plus ce que c’est, la philosophie. Je me prends à rêver: si nous redevenions capables de comprendre que là est le début du sens, le début de la vie !

Un des effets de la philosophie, si elle est correctement enseignée, c’est la capacité de voir au travers de la rhétorique politique, des arguments fallacieux, des duperies, du fumisme, du brouillard verbal, du chantage par l’émotion et de toutes sortes de chicaneries ou de fausses apparences.

Isaiah Berlin en toute liberté, Entretiens avec Ramin Jahanbegloo, p. 49

Gilbert HOUËL

Dans la revue Conférence (n°29), je découvre avec délectation la très belle poésie inédite de Gilbert HOUËL (1919-2007). Le petit mot d’introduction nous apprend que l’auteur était premier violon à l’Orchestre National. Il a très peu publié, semble-t-il. Je n’ai trouvé qu’un recueil, épuisé aujourd’hui. Cette poésie fait écho pour moi à d’autres textes, ceux de Follain, par exemple. On y trouve la même évocation de l’enfance et d’un passé désuet. Textes profonds, magnifiques.

Voix d’enfance des déversoirs; elle perpétue en toi la campagne auréolée. Tu t’avances dans la profondeur qu’accroît la transparence du jour; le temps revécu t’accompagne et te porte aux confins naturels. Où se perd la distance de l’homme, ils proposent le règne et la paix qui te lient? Tu es l’égal de ce chant grave et de l’été souverain.

* * *

Rendez-moi la lampe du soir d’autrefois sur la campagne éteinte.

Rendez-moi l’octobre chancelant à voix de brume et d’enfances mortes.

Rendez-moi le long sommeil et le rêve perdus dans les chambres du temps qui s’éloigne.

* * *

Là-bas
Où la grande solitude de la terre
Tourne en rond indéfiniment
Comme une bête sauvage
Dans la cage du ciel

Il y a
Cernées d’eau et de nuit
ma vie
Et ma peine bien aimée
Main dans la main
Sous la lampe étroite
Et la rouge chaleur du coeur endormi
Qui se souvient.

La maison, l’enfance, le livre

Les éditions Théodore Balmoral ont publié, durant l’hiver 2003-2004, un très beau volume d’hommage intitulé Compagnies de Pierre Bergounioux. Jean ROUDAUT y signe un article sous le titre Maison de jadis, demeure de toujours. Il y est notamment question de l’enfance de Bergounioux et du rapport à la maison familiale.

L’amour des maisons conduit à celui des livres: le livre est l’accomplissement de la maison; il conserve en lui son souvenir, ses recoins de poussière (…).

J’écoutais [le 12 décembre 2004] une très belle émission qui réunissait les frères Boltanski. Ils y évoquaient leur maison d’enfance; une étrange maison « en ruines » mais lieu magique des rêves, des terreurs, des plaisirs, des illusions, … Sans doute ne suis-je pas en train d’écrire un livre parce que je n’ai pas de maison d’enfance et que ce livre n’a pas (de) lieu. Comment fonder des racines sur l’absence d’un lieu originel ? Le seul que je me reconnaisse est une maison de bois, dans la banlieue de Stockholm, où j’ai connu les années les plus heureuses de l’enfance. Mais pour un temps si court !

Un peu plus loin, dans le même article, J.Roudaut poursuit:

L’enfance, ce n’est pas une période particulière dans la vie d’un homme, c’est le nom que l’adulte donne à l’île submergée où il croit avoir enfoui son secret. Dans la terre d’enfance, on a caché la mort. Le livre la révèle, sans terreur. On écrit des livres parce qu’on espère en faire des demeures pour autrui.

Il faudrait évoquer ici aussi Christian Bobin ou Charles Juliet, ou encore Jean Follain. J’y reviendrai.

Allez aussi à l’article: Le livre est une maison.