La violette de Goethe

Un jour, je me suis mise hors de moi parce qu’une amie avait coupé pour la mettre dans un vase une belle fleur mystérieuse qui s’épanouissait sans façons sur le versant escarpé d’une montagne. La violette de Goethe1 n’éveille pas ma pitié, car elle parle allemand, mais une fleur qui ne parle aucune langue humaine ne doit être ni piétinée ni coupée pour le vase. J’ai toujours été attirée par les êtres vivants qui n’ont aucune relation, ou qui ont une relation mutilée, avec les langues des humains.

Yoko TAWADA, Trois leçons de poétique, p. 27-28

Qu’est-ce qui est « résolu » ?

[Ce petit texte de Walter BENJAMIN fait écho en moi à … « l’irrésolu, qui le résout ?  » de Goethe, dans son hommage à Nezâmi . Benjamin répond à la question, d’autre façon. Le mystère, l’incertitude, demeurent].

Qu’est-ce qui est « résolu » ? Toutes les interrogations de la vie déjà vécue ne demeurent-elles pas derrière nous, comme une coupe de forêt qui nous bouchait la vue ? La défricher, ou ne serait-ce que l’éclaircir, nous y songeons à peine. Nous continuons à avancer, nous la laissons derrière nous, et, vue de loin, le regard peut certes l’embrasser, mais elle reste indistincte, incertaine et dans une confusion d’autant plus énigmatique.

Sens unique, p. 118

Nezâmi

Goethe évoque le poète persan dans ces vers magnifiques:

O Nisami ! – doch am Ende
Hast den rechten Weg gefunden;
Unauflösiches, wer löst es ?
Liebende sich wieder findend.

Ô Nezami – en fin de piste
As-tu trouvé la bonne voie;
L’irrésolu, qui le résout ?
Les amants qui se trouvent.

Goethe, West-östlicher Divan

J’aime beaucoup cet « irrésolu », c’est très beau. Nezâmî de Gandjeh est un merveilleux conteur, un des plus grands poètes persans.

Ce chantre en langue persane d’une vallée de l’Azerbaïdjan fut le plus grand poète narratif de l’Islam de son temps (…) Les récits de Nezâmî sont la quintessence des Mille et Une Nuits: ils constituent le cycle narratif historiquement reconnu, en Islam d’Orient du XIIe au XVIIe siècle, comme le véritable chef-d’oeuvre de ce genre particulier – pour le style, pour l’intention, pour le sens surtout.

(extrait de la Préface de M.Barry à sa monumentale traduction du Pavillon des Sept Princesses, Gallimard, coll. Connaissance de l’Orient, 2000).

Il faut s’armer de longue patience et de persévérance pour entrer dans ces récits – 470 pages, mais l’étude qui les complète, sur le poète, sur l’épopée et ses gloses, est passionnante.