Enculturation

(…) la diversité linguistique est intimement liée à l’extrême plasticité de l’expérience humaine. (…) Nous étudions les langues étrangères parce que nous ne pouvons pas vivre suffisamment de vies.1
(…)
Dans le domaine de la biologie évolutionniste, il devient de plus en plus clair que le trait définitoire le plus fondamental de notre espèce est précisément son potentiel d’enculturation, son ouverture infinie aux complexes motifs que la culture et le langage tissent sur la trame enfantine de notre esprit.

Nicholas EVANS, Ces mots qui meurent. Les langues menacées et ce qu’elles ont à nous dire, p. 236

Occidentite aigue

Dans son carnet sur Résurgences1, Jean SUR formule cette définition particulièrement caustique (mais pleine d’enseignement):

Occidentite aigüe: mélange de sagesse précautionneuse, de bavardage solennel, de désir de sieste, de politesse, de ressentiment. Ne pas penser selon soi-même, préférer les grands mots creux, les hochements de tête entendus.

Le petit-fils du prince Genji

Etrange et fascinant récit, que celui de L.Krasznahorkai – qui met en scène la quête intemporelle d’un jardin mystérieux, le jardin caché, le centième du célèbre livre Cent beaux jardins. Nous sommes dans le rêve, dans l’histoire, dans la méditation, dans la folie, dans une faille du temps, dans la contemplation zen, dans l’art japonais des jardins, dans le mystère incroyable de la naissance végétale, dans le regard éperdu de cet homme qui a consacré les siècles que dure sa vie à la recherche de ce mystérieux jardin. Et qui, au bout du compte, par inadvertance, par fatalité, par destinée de l’inaboutissement, passera juste à côté sans le voir, au coeur même du temple déserté qu’il a réussi à pénétrer.

Le récit se divise en 50 chapitres, dont manque le premier. Faille du livre ?
Un auteur hongrois pour un livre japonais. Un vrai bonheur de lecture.

Laszlo KRASZNAHORKAI, Au nord par une montagne, au sud par un lac, à l’ouest par des chemins, à l’est par un cours d’eau.
Traduit du hongrois. Publié à Paris chez Cambourakis en 2010.

Le Journal de Georges Séféris

Je me replonge dans la deuxième partie (publiée la première) du Journal (1945-1951). Je suis frappé, tout au long de ces pages, par l’amertume du poète dans ce monde de l’après-guerre: l’écrivain n’y a pas sa place, elle ne lui est pas reconnue. Séféris écrit (1er mars 1950): La terrible guerre que fait le monde entier pour que le poète n’existe pas. Tout est dit, sa terrible frustration face à l’incompréhension, l’inculture, le conformisme de ce pays – la Grèce – bousculé par la guerre et les luttes fratricides.

Le Journal fait aussi une large part à son séjour en Turquie – lui qui est un homme de la Méditerranée, il ne supporte pas Ankara, physiquement. Il ira jusqu’à Smyrne, à Scala, à Ephèse, pour revoir les lieux de son enfance, dans un voyage mémoriel halluciné. Il y a là quelques pages étranges, peuplées de souvenirs et de fantômes, qui font du Journal comme le récit d’un rêve.

Séféris lance aussi, au long des pages, comme des sortes de haïkus.

Je note le miracle de ces quelques mots (30 octobre 1950):

Pourtant se plient
sous le pas de Dieu
les cyclamens.