Lire

(…) aux heures perdues; lorsque l’on vit retiré; en conversation tard dans la nuit; lorsqu’on étudie par un jour de soleil; dans la chambre nuptiale; en retenant des hôtes de choix; par temps superbe; lorsque les cieux s’assombrissent; lorsque l’on regarde les bateaux glisser sur le canal; au milieu des arbres et des bambous; par de chaudes journées, près d’un étang à lotus; en brûlant de l’encens dans la cour; après qu’enivrés, les hôtes soient partis; lorsque les plus jeunes sont sortis, pour visiter les temples retirés, etc.

Werner LAMBERSY, Poèmes du pays simple.


(lire, vous savez, c’est un peu comme ouvrir la porte à une horde de rebelles qui se précipitent sur vous et vous attaquent en vingt endroits à la fois)

Virginia WOOLF, Lettre à un jeune poète (1931), L’art du roman.

Lire à haute voix

J’ai noté un jour la leçon de G.STEINER [Errata, p.26] qui explique qu’aucun texte, même difficile, ne résiste à la lecture à haute voix.

Si je n’avais pas compris tel ou tel passage – les choix et les suggestions de mon père étaient à dessein destinés à me passer au-dessus de la tête – je devais lui en faire la lecture à haute voix. Souvent la voix éclaire un texte. Si le malentendu persistait, je devais copier de ma main le fragment en question. Sur quoi, il livrait généralement son filon.

L’injonction de la « copie à la main » éveille aussi cet écho:

Le copiste doit en effet être considéré avant tout comme un lecteur, et même comme l’unique vrai lecteur du texte, puisque la seule lecture qui conduise à une pleine appropriation du texte est l’acte de la copie; le seul moyen de s’approprier un texte consiste à le recopier. C’est pourquoi l’on ne copie pas n’importe quel texte. Et c’est également pourquoi la diffusion de la photocopie (…) s’est avérée constituer le principal obstacle à la lecture, le principal antidote contre la lecture. Avec les photocopies, nous sommes malheureusement devenus de simples lecteurs potentiels: nous savons que nous pourrons lire n’importe quand ce que nous avons reproduit en un instant, de manière fulgurante (…).

Luciano CANFORA, Le copiste comme auteur, in Conférence n°13, p.215 ss

J’ajouterais cependant qu’à l’inverse, un texte mal écrit, creux, inintéressant, ne résiste pas longtemps à la lecture à haute voix, encore moins à la copie.

Le respect

Le lecteur n’est pas supposé, forcément, aller bien, il se pourrait même que le lecteur aille mal, je veux dire que le lecteur n’a pas à subir l’auteur qui aurait des vagues à l’âme, des coincements existentiels, des crampes métaphysiques, le lecteur n’a pas envie de lire ça, le lecteur n’a pas à subir les lubies & les noirceurs de l’auteur quelle que soit la pertinence avec laquelle celui-ci met ses noirceurs et ses lubies dans la syntaxe, le lecteur n’a ni mérité ni recherché ça, la justesse des descriptions, la finesse des analyses, la profondeur des réflexions, la force des arguments, l’impact des images, rien de tout ça ne touche le lecteur, rien de tout ça ne l’atteint, je veux dire: l’auteur il n’a qu’à se tenir, l’auteur doit au lecteur respect en toute circonstance, (…)

Lambert SCHLECHTER, Le murmure du monde, p. 108