Occidentite aigue

Dans son carnet sur Résurgences1, Jean SUR formule cette définition particulièrement caustique (mais pleine d’enseignement):

Occidentite aigüe: mélange de sagesse précautionneuse, de bavardage solennel, de désir de sieste, de politesse, de ressentiment. Ne pas penser selon soi-même, préférer les grands mots creux, les hochements de tête entendus.

Photographier le monde ?

(…) le monde se dérobe. Nous ne savons plus comment faire pour l’habiter. La manie de la photographie qui s’est emparée des touristes du monde entier en est un symptôme pathétique : symptôme de l’incapacité à voir, qui cherche à s’oublier dans l’illusion que sur les photographies, enfin, la malédiction sera levée. Sans cette illusion la situation du touriste serait intenable.

[Il cite Günther Anders, Obsolescence de l’homme]: Pour qui voyage de cette façon, le présent est dégradé au rang de quelque chose d’irréel et de fantomatique. Inutile de préciser qu’en voyageant ainsi, on ne voyage pas.

Illusion qu’un auxiliaire technique, la photographie, nous permettra de surmonter le hiatus qui s’est creusé entre nous et le monde. Les millions de pixel n’y peuvent rien.

Olivier REY, Quelle vie, quel voyage, avec qui ?, in Conférence n°22, printemps 2006, p. 20

Austérité ou sobriété ?

Étrange et inquiétant aveuglement de nos gouvernants – à moins que ce ne soit pur cynisme, de mener une politique destructrice d’austérité2, qui vise à priver les citoyens des pays européens de l’essentiel, à réduire voire à supprimer ce qui rend la vie possible (le soin, les soins, l’éducation, la culture, la solidarité, …), plutôt qu’une politique raisonnée de sobriété, qui viserait précisément à réduire voire à éliminer tout ce dont nous n’avons pas absolument besoin, tout ce qui est superflu, qui n’est pas essentiel à notre vie. Chaque jour apporte confirmation de cet aveuglement, de cet égarement fatal, qui risque de nous conduire tous au désastre irréversible d’une violence sociale que plus aucune promesse ne pourra contenir.

J’ajoute plus tard [février 2015]: il est intéressant de noter que les mots ne sont pas innocents. En allemand, le mot Schuld est à la fois la faute et la dette. La dette est une faute à expier. Pas étonnants l’incompréhension, le choc culturel entre l’Europe du Sud – solaire – et l’Allemagne – protestante et rigoureuse.

Je note encore: Pierre Rhabi parle depuis longtemps déjà de sobriété heureuse. Mais bien sûr !

Cette durable rumeur d’essieux

Et maintenant je te quitte de nouveau, il reste devant moi ce voyage, cette durable rumeur d’essieux et le passage, à peine en dehors de nous, de tous les lieux les plus désirés mais qui ne s’attardent pas et nous confient seulement pour une seconde leur beauté, afin qu’indistincte et muette, elle nous tente plus tard, et soit la source d’un poème.

Gilbert ROSSA, Lettre à Maurice Chappaz – 25 août 1941, in Conférence n°21