Le théâtre, c’est simple: tu t’assieds dans le noir et tu écoutes la lumière.
Christian BOBIN, Ressusciter, p. 94
Le théâtre, c’est simple: tu t’assieds dans le noir et tu écoutes la lumière.
Christian BOBIN, Ressusciter, p. 94
Des raisons impérieuses dictées par des dieux inconnus et changeants, des procédés, des diagonales et des agencements réglés par l’impatience et la rumination, des données et des événements sans consistance mais inducteurs d’émotions, des écarts et des ruptures, des surprises et des bouleversements, des fusées jaillies fortuitement, des éclairs aveuglants, des sauts dans le temps et dans l’espace, des dons du souvenir et du présent, et des retours de la joie, telle est la matière des livres.
Serge VELAY, Progrès en écriture assez lents, p. 107
Et puis, où ai-je lu et noté ceci ? Je ne m’en souviens plus. La citation est de KAFKA, du moins c’est ainsi qu’elle m’a été rapportée. Peu importe. Il y a dans cette image toute la solitude d’une enfance perdue.
Ces livres contre lesquels on se blottit.
Je n’hésite pas à citer intégralement cette page de Claude LOUIS-COMBET, tirée d’un article majeur, intitulé Comme pour tenter de dire l’être-en-suspens, publié par la revue Conférence [n°30-31, 2010]. J’y ai lu l’expérience qui fonde une vie entière, le sentiment de la beauté du monde et le goût pour toutes les manifestations foudroyantes d’émotion de l’art et de la nature. Je m’y retrouve complètement, dans l’illimitation de la surprise, de la reconnaissance et de la soumission.
De la vastitude du sentiment océanique de la beauté du monde – aurore et crépuscule, paysages des lointains, déchaînements météorologiques – se dégagea, comme une création du coeur et de l’esprit, le goût majeur, appelé à devenir essentielle passion, pour les formes de l’art. Des couleurs, des reliefs, des rythmes, des figurations, des matières, des assonances et des dissonances, composés à l’infini, dans l’inépuisable variété des genres et des styles, emplissaient le champ toujours ouvert et toujours neuf de l’admiration et quelquefois, avec une fulgurance proche de l’émotion d’amour, dispensaient des instants de pur ravissement. Alors, dans la présence aspirante et fascinante d’une peinture ou dans le vertige d’un moment musical, la conscience du temps retient son souffle, elle se laisse envahir et déborder, la présence à soi est suspendue, possédée, dans l’intime et jusqu’au plus infime, par cette Présence, d’un autre ordre, de beauté et de forme, dont les limites mêmes, d’espace ou de temps, s’abolissent, un instant, dans l’illimitation de la surprise, de la reconnaissance et de la soumission. Pour ceux que l’extase, au sens mystique du terme, n’aura jamais visités, l’expérience esthétique révèlera, mais au plus haut de sa rareté, ce qui s’en approche le plus. Elle pourra, dans toute la longueur du temps retrouvé, accorder, ne serait-ce que par le souvenir d’émotions anciennes, restées uniques dans l’existence, sa manière de lumière intérieure, à peu près suffisante pour que, même privée de sens, la vie continue de se garder en son attente.
Dans la revue Conférence (n°29), je découvre avec délectation la très belle poésie inédite de Gilbert HOUËL (1919-2007). Le petit mot d’introduction nous apprend que l’auteur était premier violon à l’Orchestre National. Il a très peu publié, semble-t-il. Je n’ai trouvé qu’un recueil, épuisé aujourd’hui. Cette poésie fait écho pour moi à d’autres textes, ceux de Follain, par exemple. On y trouve la même évocation de l’enfance et d’un passé désuet. Textes profonds, magnifiques.
Voix d’enfance des déversoirs; elle perpétue en toi la campagne auréolée. Tu t’avances dans la profondeur qu’accroît la transparence du jour; le temps revécu t’accompagne et te porte aux confins naturels. Où se perd la distance de l’homme, ils proposent le règne et la paix qui te lient? Tu es l’égal de ce chant grave et de l’été souverain.
* * *
Rendez-moi la lampe du soir d’autrefois sur la campagne éteinte.
Rendez-moi l’octobre chancelant à voix de brume et d’enfances mortes.
Rendez-moi le long sommeil et le rêve perdus dans les chambres du temps qui s’éloigne.
* * *
Là-bas
Où la grande solitude de la terre
Tourne en rond indéfiniment
Comme une bête sauvage
Dans la cage du cielIl y a
Cernées d’eau et de nuit
ma vie
Et ma peine bien aimée
Main dans la main
Sous la lampe étroite
Et la rouge chaleur du coeur endormi
Qui se souvient.