Langue d’ici

Jacques Derrida1 rapporte comment Adorno appelle à la vigilance – cette veille du veilleur infatigable – contre le narcissisme collectif d’une métaphysique de la langue.

Son plaidoyer devrait être exemplaire aujourd’hui pour tous ceux qui cherchent, dans le monde, mais en particulier dans l’Europe en construction, à définir une autre éthique ou une autre politique, une autre économie, voire une autre écologie de la langue ; comment cultiver la poéticité de l’idiome en général, son chez soi, son oikos, comment sauver la différence linguistique, qu’elle soit régionale ou nationale, comment résister à la fois à l’hégémonie internationale d’une langue de communication (pour Adorno, c’est déjà l’anglo-américain), comment s’opposer à l’utilitarisme instrumental d’une langue purement fonctionnelle et communicative sans pour autant céder au nationalisme, à l’État-nationalisme ou au souverainisme de l’État-nationaliste, sans donner ces vieilles armes rouillées à la réactivité identitaire à toute la vieille idéologie souverainiste, communautariste et différentialiste ?


Une histoire singulière a exacerbé chez moi cette loi universelle : une langue, ça n’appartient pas. Pas naturellement et par essence. D’où les fantasmes de propriété, d’appropriation et d’imposition colonationaliste.

J.Derrida, Apprendre à vivre enfin, p. 39

  1. La langue de l’étranger, Le Monde diplomatique, février 2002