Enculturation

(…) la diversité linguistique est intimement liée à l’extrême plasticité de l’expérience humaine. (…) Nous étudions les langues étrangères parce que nous ne pouvons pas vivre suffisamment de vies.1
(…)
Dans le domaine de la biologie évolutionniste, il devient de plus en plus clair que le trait définitoire le plus fondamental de notre espèce est précisément son potentiel d’enculturation, son ouverture infinie aux complexes motifs que la culture et le langage tissent sur la trame enfantine de notre esprit.

Nicholas EVANS, Ces mots qui meurent. Les langues menacées et ce qu’elles ont à nous dire, p. 236

La cloche fêlée

Je crois n’avoir jamais connu que des poètes fêlés. Qu’ils soient bons ou mauvais est une autre affaire, mais ce lien entre écriture et fêlure, oui. Et une fêlure d’être, profonde, pas l’égratignure sociale ou l’écorchure de vanité. Pas non plus des êtres cassés, sinon l’écriture cesserait. Des bancals, des boiteux d’être. Et chez les vrais lecteurs, de même, car il faut pouvoir l’entendre,  ce son de cloche fêlée ou d’enfant qui pleure presque en silence.

Antoine EMAZ, Cambouis, p. 171

Et Emaz sait sans doute de quoi il parle, lui-même poète. Son journal recense le travail quotidien sur son établi, dans son atelier d’écrivain.

Enfant lisant

Aussi loin que je me souvienne, j’ai été cet « enfant lisant », que je retrouve chez Benjamin – comme une reconnaissance, comme un souvenir perdu, …

On reçoit un livre de la bibliothèque scolaire. Distribution d’office dans les petites classes. De temps en temps seulement on ose exprimer un voeu. On voit souvent avec envie des livres désirés aller dans d’autres mains. Finalement on recevait le sien. On était totalement livré pendant une semaine à la vie du texte qui vous enveloppait de façon douce et secrète, dense et incessante, comme des flocons de neige. On y entrait avec une confiance infinie. Silence du livre, silence qui séduisait sans fin. Le contenu du livre n’était pas bien important. Car ces lectures appartiennent à une époque où l’on inventait encore soi-même des histoires au lit.

Walter BENJAMIN, Sens unique, p. 145

et Albert JACQUARD écrit aussi (Mon utopie, p. 13): La lecture est contemporaine de l’origine de celui qui, en moi, se sait être.