Solidaires

Jean-Marie PELT, botaniste et écologiste de renommée internationale, souligne1 la différence d’interprétation entre Max Weber (le meilleur, celui qui gagne, serait le plus méritant, preuve qu’il est béni des dieux – de Dieu) et Kropotkine, anarchiste russe, géographe, géologue et naturaliste, qui a étudié les mécanismes d’entraide dans la nature. Pour Kropotkine2, les individus les mieux adaptés ne sont pas les plus agressifs mais les plus solidaires. L’aide réciproque est l’arme la plus puissante dans la lutte pour l’existence contre les forces hostiles, la nature et les espèces ennemies, mais aussi le facteur le plus important du développement progressif.

Bien sûr, il y a, entre les deux hommes, un profond écart de culture politique. Mais je pense que la crise que nous vivons aujourd’hui – double crise de notre relation aux autres et à la nature, donne profondément raison à l’interprétation de Kropotkine.

Dire: environnement

Gérard Mairet, dans son petit ouvrage Nature et souveraineté, note [p. 16.] comment le mot même d’environnement  trace la frontière entre l’humain et le non-humain. Alors que, précisément, comme le rappelle Michel Serres1:

Oubliez donc le mot environnement, usité en ces matières. Il suppose que nous autres hommes siégeons au centre d’un système de choses qui gravitent autour de nous, nombrils de l’univers, maîtres et possesseurs de la nature. Cela rappelle une ère révolue où la Terre (…) placée au centre du monde reflétait notre narcissisme, (…). Non. La Terre exista sans nos inimaginables ancêtres, pourrait bien exister aujourd’hui sans nous, existera demain ou plus tard encore, sans aucun de nos descendants possibles, alors que nous ne pouvons exister sans elle. De sorte qu’il faut bien placer les choses au centre et nous à leur périphérie, ou mieux encore, elles sont partout et nous dans leur sein, comme des parasites.

La Suisse romande

La Suisse romande est une île dans l’histoire, dans ses profondes petites géographies. Elle peut apparaître absolument masquée. Nous nous avançons comme le mineur. Voici un demi-siècle, il y avait une nature intacte (si intensément belle partout), un peuple aussi juste intact (avec la vérité des métiers et la naïveté des troupeaux de bêtes), tout baignant dans une si stricte pensée administrative qu’autre chose cheminait en nous jusqu’à la révolte. En même temps qu’une louange.

Maurice Chappaz, Quelques gouttes de pluie d’une vie avec Gilbert Rossa, Conférence n°21, automne 2005, pp. 296

Nous écrivons la nature

Cees NOOTEBOOM relate [dans Hôtel Nomade, p.105-121] sa rencontre avec Tim Robinson, mathématicien, cartographe, chroniqueur et peintre, qui a passé douze ans de sa vie dans les îles d’Aran 1, à répertorier les usages, les coutumes, les musiques, les saisons, les paysages, les sentiers, les rochers remarquables, les ruines, les églises magiques, le bruit de cailloux roulés de la langue gaélique, … 2 A la toute fin de ce petit récit, Nootebom cite Robinson. La citation est en tous points remarquable. Elle ouvre une perspective inaperçue sur notre rapport à la nature. Voyez plutôt.

La nature ne sait rien de nous et ne se préoccupe pas de nous. Ce luxe de métaphores que nous avons inventées pour les appliquer à la nature n’est ni plus ni moins qu’une tentative de communication avec la réalité non humaine, tentative vouée à l’échec. Le seul sens qui soit, c’est nous, tout ce que nous lisons dans la nature, c’est nous qui l’avons écrit, nous composons un écrit si grandiose et si polyphonique que, lorsque nous reconnaissons nos propres phrases, nous ne les reconnaissons pas comme écrites par nous.