L’idiome fondamental

L’écriture constitue un cas à part, une technique particulière dans un ensemble sémiotique largement oral. (…) Mais nous ne connaissons aucune population sur cette planète, qui ignore la musique. (…) Elle est l’idiome fondamental de la communication de la sensibilité et du sens.

George STEINER, Les Logocrates

S’il nous arrive de parler au monde, le monde nous parle-t-il et s’il parle, parle-t-il de nous ?

Jacques LACARRIERE, Sourates

Des bâtons de pluie

Dans l’être de la pluie, ce qui retient, c’est avant tout le changement d’élément, l’eau venant portée par l’air, tombant du ciel comme un don parfois exubérant mais figurant toute manne. C’est aussi la perfection selon laquelle l’Un se divise en gouttes et n’existe que par cette dispersion à la fois régulière et aléatoire, chaque goutte tombant avec toutes les autres et pourtant seule, déviant selon le clinamen puis se perdant dans le final d’une éclaboussure. Ainsi en va-t-il avec le langage, qui ne préexiste pas à la division infinie qui le forme: et si tout entier le langage est une pluie, alors chaque phrasé est une averse – une certaine quantité de sens formé comme une chute vive où chaque goutte distincte forme avec ses compagnes l’unité à recueillir. La plupart du temps, il est vrai, en pure perte, le sens ne formant qu’une vapeur ou une flaque. C’est pourquoi les livres, où le sens (ou du sens, comme on dit de la pluie) est recueilli, sont en quelque façon l’équivalent des bâtons de pluie des Indiens d’Amérique du Sud: faisant réentendre le sens, et priant pour qu’il revienne.

Jean-Christophe Bailly, Le propre du langage, Seuil, p. 161-162

Un engagement politique

Depuis longtemps, j’ai acquis la conviction et j’ai vu se confirmer que la pratique artistique, singulièrement la pratique musicale collective, est une forme d’engagement politique, bien au-delà d’une simple acquisition technique dans le développement d’une virtuosité personnelle.

Engagement politique ? vraiment ? J’ai pu penser qu’il s’agissait d’abord d’un engagement éthique, mais je persiste aujourd’hui à le voir comme un véritable engagement politique, au sens du vivre ensemble. A.Negri disait que c’est l’action qui constitue le commun. La musique d’ensemble, en commun, a donc un rôle à jouer, un rôle politique et social. Elle est le témoignage actif de notre capacité à « sortir du cadre », à vivre une expérience qui ne peut être que collective, à toucher une dimension unique de notre humanité. Elle est la manifestation de notre façon de vivre ensemble, de créer du lien, d’établir et de conforter le sens – comme direction et signification.

Je revendique un parti pris. Continuer la lecture de « Un engagement politique »