A little bit less

Dans ses Mémoires, le metteur en scène Billy Wilder rapporte une anecdote à laquelle il avait assisté. George Cukor tournait la scène d’un monologue interprété par Jack Lemon jeune (1954). Après la première prise, Cukor le félicite et lui demande de reprendre sur un ton moins appuyé, « a little bit less« .

On tourne à nouveau la scène et Cukor le félicite une fois de plus, mais il lui demande encore de refaire le monologue avec un peu moins de pathos, « a little bit less« . Cukor fait répéter dix fois le monologue à Lemmon, toujours avec la même recommandation.

A la onzième prise, Lemmon dit: « Pour l’amour du ciel, monsieur Cukor, à ce rythme-là je n’arriverai plus du tout à la jouer. »
« C’est ça, maintenant vous avez compris l’idée », répondit Cukor.

Erri De Luca & Alessandro Mendini, Diables gardiens, p.73

C’est, à nouveau, la recommandation: « pas de gras ».

Le travail de l’acteur

Le travail du chanteur a tout à apprendre de celui de l’acteur: de la posture, de la verticalité, de la projection de soi comme de celle de la voix, du souffle, du son, des émotions mimées ou vécues, du partage du sens, de l’expression, tout, dans le travail de l’acteur nous intéresse. Comme le disait Jean-Michel Rabeux, lorsqu’il fut interrogé sur les risques courus par les acteurs (l’extrême des émotions, la mise à nu, …):

Ils assument ce que nous fuyons.

[in Le Chantier, F.Culture, samedi 21/01/2006.]

Pas de gras

Elle est magnifique, la voix de Florence Delay qui incarne, toute jeune comédienne, Jeanne d’Arc dans le film de Robert Bresson. Et très émouvant l’hommage de Marcel Bozonnet qui, à l’écoute d’un extrait1, dit à quel point cette voix le touche. Il dit combien ce qu’il ne veut pas appeler la diction, mais la manière de parler de Florence Delay est admirable: pas de pathos, « sans gras », elle va droit au sens, avec cette légère précipitation dans le débit qui file, direct, …

Je me dis, immédiatement, à l’écouter elle, à l’écouter lui ensuite, que c’est exactement « ça »: l’idéal de l’interprétation, en lecture, en musique. Aussi près que possible des mots. Rien que « ça ».
Mais, de l’expérimenter, de le travailler longuement, je mesure à quel point c’est difficile. Florence Delay ajoute, tout à la fin de l’émission, que pour elle le mot de la langue française le plus difficile à dire est le mot « oui ». Continuer la lecture de « Pas de gras »

Un espace respiré

Décidément, Jean-Christophe BAILLY est passionnant, quel que soit le domaine sur lequel il travaille. Notamment le théâtre, qu’il connaît bien. Je pêche ces quelques lignes dans le petit ouvrage qu’il a consacré à l’adaptation de Phèdre de Racine en hindi, lors d’un séjour indien durant l’hiver 1989-1990 (Phèdre en Inde).

Dans ce livre, je note (p. 83) la différence d’approche entre le geste du metteur en scène européen – qui pose des marques sur le sol de la scène, ce qui est perçu par les Indiens comme une incongruité – et une autre vision – celle qui « se passe de cette géométrie » (perçue comme une désagréable appropriation). J.-C.Bailly la traduit en ces termes: L’énergie virtuelle du plan de sol se confronte à un espace respiré plutôt que dessiné.1

Intéressante remarque, qu’il s’agirait de mettre en œuvre dans le travail théâtral et, par extension, dans la création de l’espace musical dans l’exécution publique.