Notre attention

Les habitudes d’inattention et de légèreté contribuent à engendrer une multitude de vices. C’est à elles qu’il faut rapporter même en grande partie la dureté apparente du coeur, les passions personnelles et anti-sociales. Si, plus maîtres de notre attention, nous savions l’arrêter sur les maux d’autrui, combien nous frémirions à la seule idée d’en être les causes !

Maine du Biran, cité par C.Carraud in Conférence n°42, p.10-11

Une exigence

Elle est belle, la vision de Cristina CAMPO, tout entière inspirée par Simone WEIL (La Pesanteur et la Grâce, les Cahiers). Dans son introduction aux lettres de C.Campo à R.Fasani (Conférence, n°32, p.151), Christophe Carraud rappelle comment l’écrivain ne pouvait trouver au fondement de la pratique de l’art qu’une exigence de beauté, d’attention et de responsabilité.

En écho, je note encore:

L’art transforme la pensée en rendant chacun conscient de son pouvoir créateur et permet de renouer avec l’exigence subjective universelle d’être et de s’affirmer par et pour soi-même, d’inscrire son être propre dans le monde naturel et humain, ce que ne permet ni la science ni la technique, ni le travail, rivés à l’universel abstrait ; l’art nous procure la joie de produire et de ressentir ce qui est le plus intime: l’amour de la vie et de sa mouvance inventive, le sens de l’universelle originalité du désir vécu de la liberté concrète. Ainsi, l’art défonctionnalise la vie et nous met en demeure de la changer pour en faire une source inépuisable de création et d’échanges sensuels, affectifs et intellectuels non utilitaires avec les autres et la nature.

Ainsi, les corps symboliques que crée l’artiste nous rappellent à la richesse de notre expérience la plus profonde: celle de notre sensibilité à la recherche infinie des significations les plus contradictoires de notre expérience intime, car c’est par cette recherche que ces contradictions adviennent au sens, c’est à dire à l’unité interrogative de la conscience de soi. En cela le plaisir esthétique est de reconnaissance ; encore faut-il pour l’éprouver ne pas avoir perdu le goût de la liberté, ce que la réalité triviale de la vie sociale s’emploie à faire tous les jours.

[Sylvain REBOUL, le 30/05/92]

Livres et bibliothèques

La revue Conférence présentait naguère (n°24, printemps 2007) quelques pages consacrées aux livres et à la lecture, avec des contributions de Giuseppe Pontiggia, Maurice Chappaz, François Debluë, Brian Stock.

Christophe Carraud a choisi, traduit et présenté les pages de Giuseppe Pontiggia sous le titre Livres et bibliothèques. Je ne peux que vous encourager à vous y plonger – voir le site de Conférence. L’accès à l’intégralité des textes exige de s’abonner, mais c’est une dépense largement compensée par un vrai bonheur de lecture. N’hésitez pas ! Pontiggia, écrivain, critique littéraire, admirable érudit est plein d’humour. Sa passion des livres est illustrée ici dans une suite jubilatoire de petits chapitres. Les intitulés en constituent le programme: Enfer et paradis de la librairie ancienne / Catalogues et vices / Sur l’achat des livres /  Voyages aux alentours / De la fureur d’avoir des livres et de les accumuler / Bibliothèques en flammes / « Lisez-vous un livre par an ? » / Le livre comme expérience / Hesse et la bibliothèque universelle / L’utile littéraire / Le chien et la tortue / L’utile pour le lecteur / Goûteurs de livres / Lecture créative / Auteur, lecteur et non lecteurs / La réception de la littérature / Entretien éclair / L’orgueil de l’ignorance / Sur la réanimation d’un vice / Un livre pour la nuit / L’exposition d’Isis / Lire.

Il y a là 50 pages de pure jouissance pour les amateurs de livres.

Par ailleurs, profitez-en pour explorer le site consacré à Pontiggia.

La cabane

Je songe à la cabane au milieu des vignes dont parle le premier chapitre d’Isaïe. On s’y réfugie, on y est bien parce que tout, alentour, est dévasté. Magnifique et dévasté.

Christophe CARRAUD, in Conférence n° 25, p. 163


(…) Je pense que, plus fondamentalement, la cabane a quelque chose à voir avec le corps mobile et itinérant, avec le corps que nous sommes, la maison avec le corps que nous avons. Certes, les deux sont le même corps, mais perçu différemment. L’un de l’intérieur, le « corps propre » ou corps organique (Leib) comme dit Husserl, l’autre, de l’extérieur, corps-objet (Körper), que je puis saisir comme n’importe quel autre objet. Ce corps que j’ai et que je suis à la fois ou que je suis sur le mode de l’avoir est aussi, d’un certain point de vue, une forme d’abri.

Gilles A.TIBERGHIEN, Notes sur la nature, la cabane et quelques autres choses, p. 41