Notre voix, en propre

Dans l’usage que nous faisons de cette voix qui est la nôtre, il s’agit surtout de ne pas « jouer », mais d’être. Ne pas passer sur le mode déclamatoire ! A l’instar du comédien, c’est notre voix en propre, même si nous la prêtons, à un rôle, à une ligne mélodique. Vivre et montrer les émotions qui nous sont propres. Dans tous les cas, à travers notre voix, l’auditeur reconnaît alors sa propre voix, ses propres émotions, son souffle, ses gestes, alors que, au départ, ni la voix, ni le geste, ni la posture ne lui sont familières, encore moins semblables. Pourtant notre voix, notre souffle, notre geste sont fondamentalement lui-même, son humanité reconnaissable.

Il faut abdiquer l’intelligence

Qu’un homme, qu’un acteur aussi fin que Fabrice Lucchini rapporte ainsi la règle d’un de ses maîtres, Louis Jouvet, aurait de quoi nous étonner. Pourtant, tout est juste dans ces citations, de Jouvet, de Bouquet, mêlées au fil de l’entretien entre Lucchini et Laure Adler (France Inter 10 octobre 2007), au point où l’on finit par ne plus savoir exactement lequel des deux il est en train de citer…

Je prends des notes.

Jouvet.
Sur le souffle:  Épuisez la phrase (au sens physique du terme). Pour être comédien, il faut abdiquer l’intelligence. Ton intelligence est superflue. Il faut vivre la passion de l’acteur.

Bouquet.
C’est l’auteur qui joue la comédie. Et l’auteur ne peut pas venir la jouer sur le théâtre ! Mais c’est lui qui est en cause, c’est lui qui est l’intérêt du théâtre. L’acteur ne sert que d’intermédiaire entre la parole de l’auteur, son sentiment des choses, sa manière de voir le monde, le caractère universel de sa pensée, etc, … véhiculés par l’acteur qui les transmet, lui, au public. L’intérêt réel de l’acteur n’est pas de montrer ce qu’il en pense. C’est bien l’auteur qui joue à travers l’acteur.

Jouvet.
Le comédien s’élève, par une lente insinuation, à l’altitude du personnage dont il a la responsabilité mais qu’il n’a pas à incarner. Tu n’as pas à marcher, tu dois te mettre dans les pas, tu dois chercher dans ton travail les pas tels qu’ils ont été faits. C’est une force en mouvement.

A l’intérieur ?

Dans Voix off, Denis Podalydès évoque notamment la voix de Jean-Pierre Vincent (au Conservatoire de Paris en 1988). Il fait travailler les jeunes comédiens, avec une rigueur que Podalydès transcrit bien, dans une écriture hachée:

Il reprend la pièce entière, commente, argumente, alimente, sédimente, décèle l’impensé, chasse le préjugé, lutte contre le jeu en général, ce qui lui apparaît comme le comble de la convention bêtifiante: jouer en dehors de l’histoire, de la grande et de la petite histoire, dans une immobilité, une éternité sentimentale où seraient une fois pour toutes fixés les expressions, les émotions, les effets. Bercés dans et par cette illusion, nous nous croyons, nous sentons vraiment nous-mêmes, purs et sincères, délicieusement naïfs, fidèles à notre nostalgie d’enfance, nous nous laissons aller, rêvons, faisons semblant, ne voyons pas que nous sommes artificiels, vides, morts.

Un peu plus loin, c’est une belle leçon de théâtre, mais de ces leçons que tout musicien peut prendre: elle est paradoxale, apparemment; parce que nous n’arrêtons pas de penser, de croire et de tenter de faire croire, que c’est bien en nous, au plus profond, à l’intérieur, que se cache ce qui fait sens, ce qui donne chair à nos émotions, ce que nous avons donc de plus intime et de meilleur à partager.

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Esther Kahn

Dans le film d’Arnaud Desplechin, la jeune Esther Kahn fait son apprentissage de comédienne. Il y a cette scène extraordinaire dans laquelle son mentor lui fait traverser la scène, dans une large diagonale, en lui fixant pour mission de manifester, dans ce théâtre vide, à titre d’exercice, une émotion différente tous les 4 pas. Une leçon magnifique !