L’événement pur

L’événement pur de la voix, c’est l’expérience de la différence de chaque voix, elle-même jouxtée à la différence de chaque discours, c’est l’expérience qui consiste à donner consistance au commun, en tant qu’il est justement division, multiplicité, égarement, prodige.

Jean-Christophe BAILLY, Phèdre en Inde

L’insatiable curiosité

Il s’agit de faire revivre l’émerveillement, l’espièglerie et l’insatiable curiosité de la petite enfance, mais à travers une profondeur de connaissance, un fonds d’expérience et une rigueur intellectuelle auxquels il n’est possible de parvenir qu’à l’issue de nombreuses années de vie et d’étude.

Tim INGOLD, Marcher avec les dragons, p. 12

L’insatiable curiosité ? Elle est peut-être un autre nom de l’inquiétude.

Pierre BERGOUNIOUX, Exister par deux fois, p. 213

Un adulte créatif est un enfant qui a survécu.

Ursula K. LE GUIN

Enculturation

(…) la diversité linguistique est intimement liée à l’extrême plasticité de l’expérience humaine. (…) Nous étudions les langues étrangères parce que nous ne pouvons pas vivre suffisamment de vies.1
(…)
Dans le domaine de la biologie évolutionniste, il devient de plus en plus clair que le trait définitoire le plus fondamental de notre espèce est précisément son potentiel d’enculturation, son ouverture infinie aux complexes motifs que la culture et le langage tissent sur la trame enfantine de notre esprit.

Nicholas EVANS, Ces mots qui meurent. Les langues menacées et ce qu’elles ont à nous dire, p. 236

KUP TALDEA

Au Florilège vocal de Tours, 2010.

Nous sommes quelques amis, nous descendons du Nord pour le rendez-vous annuel du Florilège. Nous y venons depuis quelques années déjà. Et nous y avons entendu des prestations jubilatoires, étonnantes, magnifiques, émouvantes. Ce vendredi 28 mai 2010, en fin d'après-midi, nous voilà dans la salle du théâtre de Tours. Assis au premier rang, tout au bord de la scène, en prise directe avec le choeur, nous écoutons quelques prestations qui nous déçoivent un peu. Et puis arrive l'ensemble KUP Taldea (de Tolosa, au pays basque espagnol), dirigé par Gabriel Baltes. En un instant, l'émotion est extraordinaire: nous sommes entrés brusquement dans une autre dimension, la musique vient d'apparaître, le concours a commencé ! Tout de suite après, les questions se bousculent: d'où vient la différence ? le souffle ? le geste libre, la posture des chanteurs ? leur concentration ? leur capacité à être ancrés, centrés sur la musique et sur eux-mêmes, dans la jubilation partagée d'être des chanteurs, des musiciens véritables, au plus profond de la compréhension musicale ? Quel est le ressort caché de ce miracle, qui nous laisse émerveillés ?  Bien sûr, il y a des critères objectifs: l'émotion seule ne décide pas tout, et certainement pas de l'avis du jury qui, 48 heures plus tard, attribuera le Grand prix de la ville de Tours à l'ensemble KUP Taldea. Il y a la qualité des voix, la souplesse et la virtuosité, la capacité à mobiliser les énergies dans un ensemble, dans une communauté, la vision interprétative du chef, qu'il fait partager, et qui nous rend cette musique si proche, si évidente. Mais la recherche qui fait l'objet de tout mon parcours de chanteur, de chef de choeur, de formateur est ici illustrée avec une totale évidence: comment comprendre, éclairer, formuler et transmettre ce qui se passe dans la relation (mystérieuse, vraiment ?) entre la subjectivité la plus intime, la plus profonde (celle qui se manifeste dans le chant individuel, par la voix, par l'expression d'une musicalité singulière) et ce qui est de l'ordre du collectif, de la communauté - tant à l'intérieur d'un ensemble, dans la capacité à être en connivence musicale, dans la capacité d'écoute et d'empathie, qu'avec un auditoire, avec un public ?

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