Ruach

Le mot hébreu Ruach a 4 significations : le sens original est « le vent » ; les sens dérivés : « nullité, vanité » ; « souffle de vie » ; « humeur, colère ». (notons le rapport entre le vent, le souffle et l’émotion).

Ruach est donc à la fois le « bruit de fond », le vent qui précède l’apparition de tout son élaboré, le chaos sonore ; mais aussi le souffle de vie, celui qui crée, et le vecteur de l’émotion primaire. Avec une connotation forte de vacuité, de nullité. Le chant, qui participe de tous ces sens à la fois et émerge du bruit de fond comme le son le plus élaboré, est aussi le vecteur privilégié des émotions. Son espace est intangible et vacant.

François CHENG (Dialogues avec F.Rey, p.32) présente cette vacuité, ce vide dans la tradition chinoise:

Le vide positif est donc à percevoir comme l’espace où se régénère et circule le souffle, le lieu par excellence où s’effectuent les transformations. Ni principe abstrait, ni catégorie vague, le vide est dynamique, intervenant au sein de la vie courante. Pour ce qui est du fonctionnement du souffle lié au vide, on distingue, à la base, trois souffles qui agissent en concomitance : le Yin (douceur réceptive), le Yang (puissance active) et le vide-médian. Ce dernier prend place lorsque le Yin et le Yang sont en présence ; il a le don naturel d’entraîner les deux souffles dans l’interaction, et par là dans le processus de la mutation réciproque. En ce sens, la pensée chinoise est résolument ternaire.

Le souffle est un mouvement circulaire, ininterrompu, qui englobe inspiration et expiration, comme un aller-retour pacifique. Il met le corps en contact avec la terre, comme si le rythme respiratoire du chanteur s’accordait au mouvement des choses et des êtres. L’air est à la fois l’aliment du chant et le vecteur de la vibration , qui est elle-même dans le corps – partie intégrante de son rythme (cardiaque et respiratoire), et à l’extérieur, comme onde vivante, multiple, en perpétuelle évolution.  

Bien respirer !

Pierre Alechinsky raconte son premier voyage au Japon. Il avait 27 ans. Jeune peintre, il était fasciné par la calligraphie japonaise et voulait rencontrer les maîtres de l’art. Lors d’une de ces rencontres, il interroge le calligraphe : quel conseil peut-il lui donner ? a-t-il un secret pour pratiquer cet art ? La réponse que reçut Alechinsky lui parut, dit-il, dérisoire de prime abord. Le maître lui dit : « il faut seulement être bien assis et bien respirer. » J’aime cette leçon – qui n’a rien de dérisoire, comme le peintre l’a compris par la suite : dans sa simplicité, et dans l’attention qu’elle porte à deux éléments essentiels – la posture et le souffle, elle est parfaitement adaptée à l’art du chanteur.

Le chant en consonance avec l’univers

Je note chez Bruno Pinchard:

La vibration est un aller-retour entre des termes, entre des extrêmes. Elle est un formant de la matière physique mais aussi une émotion d’une intimité absolue.

Façon subtile de signifier à la fois l’espace de partage émotionnel et l’échange vibratoire avec le monde qui nous entoure. Le chant est d’abord une transformation irréversible du silence – le monde d’après le son n’est plus le même, il a été transformé – physiquement, puisque l’on sait que, réellement, l’énergie libérée par un mouvement, une vibration infime de l’air (théorie du papillon : le rôle de la vingtième décimale dans la gestion des prévisions), peut modifier radicalement notre environnement. Le chant met aussi en mouvement (émeut) l’être intime, du chanteur et de l’auditeur.

Pinchard encore  (F.Culture, 25/11/04):

La musique est ce basculement par excellence, où l’on passe de l’extrême subjectivité à l’extrême objectivité. La musique nous délivre de ce que nous pourrions avoir de narcissique dans l’expérience intérieure .

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Le lyrisme

Je découvre avec plaisir ces quelques lignes, qui tentent une définition du lyrisme, appliqué à l’écriture romanesque ou à l’écriture théâtrale, mais que je trouve tout à fait pertinente pour approfondir notre réflexion sur cette « voix lyrique » que je demande aux chanteurs de travailler.  Quelle coïncidence,  mais pas étonnante finalement, d’y trouver des références au souffle et à la voix.

Le lyrisme.
Non pas les épanchement sirupeux du moi, mais ce composé d’éléments divers qui permet d’identifier une forme sans constituer pour autant un concept, et qui comprendrait entre autres et sans hiérarchie: la mise en scène de l’émotion (le texte lyrique est un texte ému, un texte qui transporte); la prédominance de la voix (l’oralité, la mise en bouche de la langue, la présence du corps pulsionnel; mais aussi la langue orale, familière; mais aussi l’oratoire, le déploiement de la voix dans la durée, et donc le souffle); la célébration admirative; l’organisation du temps par un rythme sensible (et donc la scansion par reprises: litanies, anaphores, ressassements, condensés métaphoriques récurrents). (…)

[Jean-Paul Goux, in Revue L’Animal, n°16 – printemps 2004, consacré à François Bon, p.167]

J-P.Goux ajoute plus loin une citation de Rilke: Le lyrisme tend à « la transmutation intégrale du monde en splendeur ».

C’est exactement ça… Beau programme pour une pratique musicale, non ?