La corporéité

Fred Poché 1 souligne la place centrale du corps.

(…) nous n’avons pas, à proprement parler, un corps, mais nous sommes, chacun, un corps. Consentir à la corporéité, c’est laisser une place à la ritualité, au « contact » avec l’autre, au consentement à l’aide que peut nous apporter autrui et que nous pouvons lui apporter. 2(…)

Un appel

Adam PHILLIPS, un des plus brillants psychanalystes de notre temps, a publié un passionnant petit essai intitulé Trois capacités négatives 3. Ces « capacités négatives » – être un embarras, être perdu, être impuissant – fondent notre vie, quand elles sont reconnues et assumées.

Il parle du cri et cite Freud: « La voie de décharge [c’est-à-dire le cri, l’expression émotionnelle] acquiert ainsi une fonction secondaire d’une extrême importance: celle de la compréhension mutuelle. L’impuissance originelle de l’être humain devient ainsi la source première de tous les motifs moraux. »

Il poursuit:

La première fonction du cri est de tenter d’évacuer, de décharger l’excitation, ce qui ne peut marcher. Mais la fonction seconde est un appel – un moyen de communication ou de contact du « sujet impuissant » avec la personne qui s’occupe de lui. Cela installe une compréhension avec autrui probablement parce que cela engage à chercher, à imaginer ce dont le sujet impuissant pourrait avoir besoin. (…)

Coexistence

Partons de la notion de « réforme », définie comme une amélioration partielle et progressive dans le domaine moral ou social, opposée à « révolution ». Amélioration pour qui ? Pour l’ensemble de la société, elle concerne l’intérêt commun, et, dans ce cas, ne peut être que pro-posée, c’est-à-dire présentée préalablement au regard, enjeu public, débattue par des intérêts pluriels, éventuellement conflictuels, visant néanmoins un accord. Par lui, la part des uns, la part des autres est censée trouver son compte, autrement dit une négociation bénéficiant à tous. Cette négociation suppose des concessions, une forme de lâcher-prise permettant un compromis, une conciliation. Insistance ici d’un cum qui marque et la procédure, se mettre ensemble, et la visée, une politique de coexistence permettant à chacun les moyens d’une existence et de son projet. Ce cum témoigne d’une vigilance à ne pas léser certains, remettant alors en exergue la parole de Solon à l’aube de la démocratie : « un tort fait à l’un nous concerne tous ». 4

Extrait d’un passionnant article de Elisabeth Godfrid: Des inventeurs pour une coexistence. Réformes et lâcher-prise, sur le site EspacesTemps. A lire entièrement, évidemment.

Solidaires

Jean-Marie PELT, botaniste et écologiste de renommée internationale, souligne5 la différence d’interprétation entre Max Weber (le meilleur, celui qui gagne, serait le plus méritant, preuve qu’il est béni des dieux – de Dieu) et Kropotkine, anarchiste russe, géographe, géologue et naturaliste, qui a étudié les mécanismes d’entraide dans la nature. Pour Kropotkine6, les individus les mieux adaptés ne sont pas les plus agressifs mais les plus solidaires. L’aide réciproque est l’arme la plus puissante dans la lutte pour l’existence contre les forces hostiles, la nature et les espèces ennemies, mais aussi le facteur le plus important du développement progressif.

Bien sûr, il y a, entre les deux hommes, un profond écart de culture politique. Mais je pense que la crise que nous vivons aujourd’hui – double crise de notre relation aux autres et à la nature, donne profondément raison à l’interprétation de Kropotkine.