La littérature / Bergounioux II

La littérature ne vaut pas une minute de peine si elle produit des objets tiers pourvus de propriétés esthétiques, formelles, qu’on peut se borner à admirer mais qui sont, comme dit Montaigne, sans nuisances et sans conséquences.Pour moi, la littérature, ça aide à vivre, ça clarifie l’expérience par définition ombreuse, douloureuse, énigmatique qui est la nôtre.

Pierre BERGOUNIOUX, interview dans l’émission Des mots de minuits, France2, 11 avril 2012

Un nombre illimité de vies

Mais notre imperceptible passage sur la terre, dont il ne reste que des fragments insignifiants, il me semble parfois, mais seulement parfois, qu’avec notre faculté d’imaginer les milliards d’existences depuis la préhistoire jusqu’à aujourd’hui et au-delà, nous en vivons en fait un nombre illimité, de vies. Jusqu’à nous projeter comme des astronautes dans l’éternité.

Rosetta LOY, La première main, p. 185

Cette phrase qui clôt le récit autobiographique de R.Loy m’évoque une référence dont j’ai le souvenir, imprécis, et que j’ai perdue. Un autre extrait donc, ailleurs, sur les vies rêvées, toutes les vies possibles, ces innombrables potentialités qui se sont ouvertes à chaque étape de notre vie, ces voies que nous aurions pu suivre et que nous n’avons pas suivies et dont l’abandon, plutôt que le choix, a forgé petit à petit ce qui est aujourd’hui notre destin. Nous vivons notre vie à défaut de toutes les autres, qui pourtant nous sont rendues, par l’écriture, dans la fiction. Sans doute est-ce là le moteur le plus sûr de notre passion de lire et d’écrire.

Voix qui résonnent

C’est le petit chapitre 33 de J.B. PONTALIS [En marge des nuits, p.77], qui porte ce titre. Il s’ouvre par une citation de Th.Laget: Le silence n’est pas l’absence de voix. Il est au contraire le vide qui permet à toutes de résonner.

Pontalis parle ensuite de ces voix qui résonnent dans nos rêves, dans notre parole quand elle parvient à se délivrer de notre « moi » chéri et consent à s’ouvrir, à s’abandonner à toutes les voix, ignorées le plus souvent ou oubliées, qui sont en nous et ont longtemps attendu avant de se faire entendre. Paradoxe: c’est seulement alors, quand le « moi » n’occupe plus seul la scène, que le « je » parle avec sa propre voix.

Au-delà des propos du psychanalyste, j’y note une précieuse analogie avec le travail musical, l’expression du chanteur.