Un seul art

Difficile, pour un homme ordinaire, de pratiquer deux arts à la fois. Ils sont rares ceux qui ont pu développer deux pratiques artistiques, et ce n’est pas par hasard qu’on se souvient du violon de monsieur Ingres … Plus près de nous, une artiste qui me touche et dont j’admire le talent, Juliette Binoche, est à la fois comédienne, danseuse et peintre. Mais, à l’écouter et à la suivre, on comprend qu’en toutes choses elle a placé un travail considérable, avec une énergie et une détermination dont peu sont capables. En tout cas, pour un praticien amateur qui n’a pas la possibilité de se consacrer entièrement à son travail artistique parce qu’il exerce par ailleurs un métier1, une seule pratique artistique, c’est beaucoup.

C’est beaucoup, parce que l’engagement réel, approfondi, qui aboutit à une véritable maîtrise, requiert énormément d’énergie. Et, en tout premier lieu, une attention constante, une écoute et une ouverture à tout ce qui peut alimenter la pratique de cet art. Je m’oppose à ceux qui veulent faire croire que certaines pratiques sont plus faciles que d’autres et demandent donc beaucoup moins de travail. Il existe, dans le milieu choral français, une imposture assez répandue, qui voudrait faire croire que le chant choral est facile, sous prétexte que l’accès en est aisé: aucun instrument à acquérir; l’embarras du choix pour trouver un groupe qui vous accueille, quel que soit votre niveau de départ. Continuer la lecture de « Un seul art »

Le Jardin

Nous l’avons oublié … mais nous l’avons connu
Ce Jardin de bonheur et de toutes vertus.

Grand verger traversé par le vent de la plaine
souffles chauds, vols d’oiseaux, bruit de feuilles, silence.

Enclos sur la colline et tout autour, le ciel,
et l’horizon bleuté et sa courbe profonde.

Prairies, fier pays, héritage, domaine
où nous vivons tous deux de sources et de miel.

Et l’Arbre ! Paradis, branches jointes, murmures,
sanctuaire élevé à nos humaines joies,

coupe où sans nous lasser nous goûtons à la vie,
dôme au travers duquel nous cherchons notre ciel.

Arbre aux heures lentes, grand livre ouvert, sagesse,
et reposoir mouvant de nos calmes pensées.

Françoise LYON, La Joie secrète, 1975
[ma mère, en hommage]

L’enfer

L’enfer du vivant n’est pas chose à venir ; s’il y en a un, c’est celui qui est déjà là, l’enfer que nous habitons tous les jours, que nous formons d’être ensemble. Il y a deux façons de ne pas en souffrir. La première réussit aisément à la plupart : accepter l’enfer, en devenir une part au point de ne plus le voir. La seconde est risquée et elle demande une attention, un apprentissage, continuels : chercher et savoir reconnaître qui et quoi, au milieu de l’enfer, n’est pas l’enfer, et le faire durer, et lui faire de la place.

Italo CALVINO, Les villes invisibles, p.189

Depuis que l’homme ne croit plus à l’enfer, il a transformé sa vie en quelque chose qui y ressemble. C’était le moins qu’il pût faire.

Ennio FLAIANO, Autre mode d’emploi du meilleur des mondes possibles, in Conférence n°32, p. 348

Et BOBIN, avec cet humour indéfinissable [Ressusciter, p.137]:

J’aime bien cet endroit, la décoration a du charme, dit la petite jeune fille qui se trouvait en enfer.

P D C – Posture, direction, contact

PDC est un petit outil que j’utilise depuis plusieurs années: Posture, Direction, Contact.

Pour le travail vocal de l’ensemble, voici ce que je rappelle régulièrement:

  • la posture: la position du corps, la stabilité, la bascule du bassin et la sensation du centre de gravité, l’attitude d’ouverture (épaules, bras, ventre, bassin, pieds), à l’identique de ce qu’on apprend au théâtre.
  • la direction : il s’agit d’adresser (symboliquement et physiquement) la voix, d’offrir la musique à l’auditeur, … Elle doit être orientée, dirigée vers …
  • le contact : c’est une autre façon de désigner ce que Daïnouri Choque nomme l’intensité. Il faut que la voix soit adressée avec assez de force, que le corps soit suffisamment engagé pour que l’on puisse ressentir ce contact (avec le son, avec l’espace). On peut utiliser l’image d’un contact [symboliquement] engagé avec un écran, avec un mur (celui de la pièce, de la salle, de l’église où l’on chante) sur lequel le son doit se ficher, s’accoler, …. Katelijne Van Laethem exprimait cela encore autrement. En néerlandais, elle utilisait le terme ‘uitdagen’, qu’on peut traduire par ‘défier, provoquer (en duel)’. Il s’agissait ainsi de défier l’espace, de chercher l’engagement – comme un duelliste – avec le lieu. L’arme, puissante, vive, lumineuse, c’est sa propre voix, son propre son.

Pour appliquer la formule de la PDC, il faut le double mouvement – contraire – de (re)centrage sur soi et d’ouverture. On revient toujours à ces fondamentaux.