J’ai vu plusieurs fois le film de Fatih Akin. Je n’oublierai jamais la scène du désespoir de la mère qui vient à Istanbul parce que sa fille y est morte. Hanna Schygulla est impressionnante. Pour moi, c’est là l’expression la plus forte, la plus bouleversante de l’art de l’actrice.
Nulle part, terre promise
La rencontre esquissée de trois itinéraires à travers l’Europe: une jeune femme, partie vers l’Est, attendant en vain l’appel d’un homme qu’elle devrait rejoindre, … elle capte les images de ses rencontres; un homme, cadre dans une entreprise industrielle, chargé d’organiser la délocalisation d’un atelier en Hongrie; un père et son enfant, voyageant dans des semi-remorques, depuis le Kurdistan, pour rejoindre désespérément l’Angleterre. Leurs destins se croisent dans ce film superbe de Emmanuel Finkiel.
Et le vieil homme rencontré dans le train dit: Si tu n’es pas capable de te souvenir, tu pourras porter un meilleur manteau, tu auras toujours froid.
Mimétisme
Dans une société de grande civilisation, il est essentiel pour la cruauté, pour la haine et la domination si elles veulent se maintenir, de se camoufler, retrouvant les vertus du mimétisme. Le camouflage en leur contraire sera le plus courant. C’est en effet par là, prétendant parler seulement au nom des autres, que le haineux pourra le mieux démoraliser, mater, paralyser. C’est de ce côté que tu devras t’attendre à le rencontrer.
Henri MICHAUX, Poteaux d’angle
L’éventail de la nature
Dans la vie d’un homme la quantité d’émotions assimilable par lui n’est pas infinie. Beaucoup même arrivent bientôt au bout. Plus grave, l’éventail de ce que tu peux ressentir n’a qu’une ouverture limitée. A grand-peine, avec de grands risques ou avec de la chance ou beaucoup de ruse, tu arriveras un peu plus quelquefois à l’ouvrir, quelque temps. Mais l’éventail de la nature est ainsi fait que, si tu n’y veilles constamment, il rétrécit bientôt sans cesse jusqu’à se fermer.
Henri MICHAUX, Poteaux d’angle, p.45
Ma note: Bien sûr, la pratique artistique accorde au praticien une forme de familiarité avec l’espace des émotions, qui peut apparaître, aux autres, comme un avantage, un don, ou plus simplement une expertise virtuose. Je pense surtout qu’elle maintient ouvert l’éventail, le plus largement et le plus longtemps possible. Ce ne sont ni ruse, ni chance, mais une attention constante, un éveil permanent.
Ma note 2: Ce petit recueil [Poteaux d’angle] est passionnant de bout en bout. A lire.
Ma note 3: Le poteau d’angle, c’est aussi celui de Philippe Jaccottet, dans un très beau texte [Notes nocturnes].