La ligne

Pourtant la ligne, au lieu d’être conçue dynamiquement comme la tension de sa propre avancée, peut être considérée comme ce qui, en se traçant, coupe l’espace en deux. Vue comme cela, elle est alors le vecteur de la séparation, la matrice des enclos et des frontières.

Ce qui apparaît en filigrane derrière cette double vocation de la ligne, c’est un monde de lignes qui ne délimiteraient jamais des surfaces opposées, un monde de lignes vivantes et toujours parcourues: la pelote de la connexion, l’inextricable réseau du « connecter infiniment » dans lequel Hölderlin reconnaissait l’acte même de la pensée. Un monde de particularités non divisées, mais simplement visibles et visitées, un monde sans clôtures, sans frontières, sans interdits, sans points inatteignables.

Jean-Christophe BAILLY, Le propre du langage, p. 112

Dire: environnement

Gérard Mairet, dans son petit ouvrage Nature et souveraineté, note [p. 16.] comment le mot même d’environnement  trace la frontière entre l’humain et le non-humain. Alors que, précisément, comme le rappelle Michel Serres1:

Oubliez donc le mot environnement, usité en ces matières. Il suppose que nous autres hommes siégeons au centre d’un système de choses qui gravitent autour de nous, nombrils de l’univers, maîtres et possesseurs de la nature. Cela rappelle une ère révolue où la Terre (…) placée au centre du monde reflétait notre narcissisme, (…). Non. La Terre exista sans nos inimaginables ancêtres, pourrait bien exister aujourd’hui sans nous, existera demain ou plus tard encore, sans aucun de nos descendants possibles, alors que nous ne pouvons exister sans elle. De sorte qu’il faut bien placer les choses au centre et nous à leur périphérie, ou mieux encore, elles sont partout et nous dans leur sein, comme des parasites.

Mémoires indiennes

Le film de Arthur LAMOTHE, Mémoire battante (1992), est un très long document sur ce qui restait de la vie traditionnelle des Indiens Montagnais dans le Nord Québec, à la fin des années 60 et dans le courant des années 70, au moment où il a réalisé ce reportage: la vie dans la réserve, la vie sauvage, la chasse, les pratiques rituelles (la « suerie », …) , l’évocation des rites (la « tente tremblante »), la langue, le vocabulaire extrêmement subtil qui touche à la nature, à la géographie des lieux, aux pratiques rituelles, …

En écho, je me souviens d’avoir vu, il y a quelques années, un autre film canadien: Voyage en mémoires indiennes, de Jo BERANGER (2004). C’est le long parcours du souvenir de l’acculturation violente subie par de nombreux enfants, arrachés à leurs parents, à leur vie, pour être « civilisés » de force dans des écoles animées par des congrégations religieuses.
Voir à ce sujet: les excuses officielles du gouvernement canadien, en 2008, comme condition de réconciliation.

Ce film présente aussi une expérience tout à fait originale d’école reprise et gérée entièrement par une communauté indienne du centre du Canada: le Blue Quills First Nations College. Un modèle (unique ?) de prise en charge de l’éducation des enfants des « peuples premiers », dans le respect de leurs traditions ancestrales. A voir.1

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