Les nuages de G.M.Hopkins

C’est Annie Dillard qui, à la rubrique Nuages (Au présent, page 119), évoque les descriptions de ciels de Gerard Manley Hopkins. Je me rappelle, en effet, les avoir lues dans son Journal (1866-1875) publié par les éditions William Blake à Bordeaux. Elles sont magnifiquement évocatrices, d’un talent fou. La date précise, parfois au jour près, assortie d’une description aussi fine, est comme un puissant appareil nous projetant tout vivants dans le passé.

En voici quelques-unes.

1866
1er juillet

Tard dans l’après-midi, la lumière et l’ombre étant très violentes, le ciel se recouvrit d’une file de nuages en formes de blocs neigeux, et, au-dessous du soleil, le long de la ligne d’horizon, il y eut une multitude de chaînons contrariés, étincelants et frisottés, noyés d’ombres perlées. Le soleil s’est couché dans un bas-fond gris parsemé de taches et de nuées d’or humide, et l’horizon courbe était pavé de nuages lisses, couleur de plomb évidemment, mais plus ou moins ocrés et roses à leur partie supérieure. Des langues et des rayons entrelacés, combinés avec des boules obliques et floconneuses, s’y faufilaient. Traversant ces nuages-là d’autres nuages roses, comme des enclumes et des formes soufflées, verticales, laineuses toisons à sommet plat, menaçantes. Continuer la lecture de « Les nuages de G.M.Hopkins »

Changement climatique

Il y a quelques jours, j’assistais à un colloque consacré à la conduite du changement climatique. Cette formulation – sur laquelle personne ne semble s’être interrogé – me semble bien étrange. On parle de, on échange sur, on met en œuvre la conduite du changement. C’est un poncif du conseil en organisation. Mais parler de conduite du changement climatique ! Peut-on conduire ce changement-là ? Ne serait-il pas plus approprié de dire n’importe quoi d’autre : observer, subir, supporter, suivre, anticiper, contrer, infléchir, modifier, éviter, laisser-faire, … le changement climatique. Ou, plus simplement : le penser. Mais cela suffit-il ? A défaut de pouvoir traiter cette question de la conduite du changement climatique, ne faut-il pas plutôt revenir sur l’inconduite des politiques, des marchands, des citoyens ? Ou encore, en inversant la formule: changer de conduite.

Mais nous avons soudain l’intuition qu’il est sans doute trop tard.

Trop tard par rapport à quoi ? Bien entendu, la question de la temporalité est centrale. L’urgence qui nous saisit est-elle réelle, objectivable, indépendante de nous ou relève-t-elle simplement de l’ordre de la pensée ? Pouvons-nous évaluer cette sensation diffuse, avons-nous vraiment conscience que nous sommes, sans le savoir, sur le fil du rasoir, sur cette arête entourée d’à-pics vertigineux que le brouillard de notre aveuglement nous dissimule jusqu’au dernier instant. Nous pensons sans doute encore avoir le choix : celui de subir courageusement comme celui d’éviter autant que possible le changement climatique. Alors qu’il n’y a probablement déjà plus de choix possible ; à cause de l’urgence – que nous percevons encore d’une façon illusoire comme celle d’un délai sans cesse ajouté ; à cause de l’étroitesse de l’arête sur laquelle nous courons. Le temps est-il, sur ce sujet, une contrainte dynamique ? Ou ne sommes-nous pas déjà au-delà du temps – quand penser l’urgence, c’est encore faire référence au temps, comme historicité, comme progrès, comme ligne de fuite ?

Nos postures – nos gesticulations – ne soulignent que l’irréversibilité du processus.

La seule attitude possible – parce qu’elle est digne, honnête et foncièrement optimiste sur le sort de notre humanité, est celle qui transforme les postures en actions, et crée ainsi de la communauté pour affronter l’avenir d’un monde devenu définitivement incertain.

La force de la magie

L’esprit, nanola – terme qui englobe l’intelligence, le pouvoir de discernement, la capacité d’apprendre des formules magiques et l’ensemble des aptitudes non-manuelles, aussi bien que les qualités morales – réside quelque part dans le larynx… La mémoire où gisent les formules et les traditions apprises par cœur réside plus bas, dans le ventre. La force de la magie, qui se cristallise dans les formules magiques, les hommes de la génération actuelle la portent dans leur corps… La force de la magie ne réside pas dans les choses: elle réside à l’intérieur de l’homme et ne peut en sortir qu’à travers sa voix.

Dit des îles Trobriand, Nouvelle Guinée. in Les Techniciens du sacré.