La différence

La question de la différence ne devrait pas se poser puisqu’elle va de soi. Pourquoi parle-t-on [aujourd’hui plus qu’autrefois ?] de la différence ? Comme si la non-différence, l’indifférenciation était la norme ? Alors que c’est bien la diversité qui est la norme du vivant. L’idéologie (noire/sombre… ?) de l’identité, du semblable, du similaire, celle de l’assimilation, du clone, a la vie dure. Le divers fait peur au lieu d’éveiller l’intérêt, de stimuler la création. Les organisations – organisations sociales, entreprises – sont, la plupart du temps, engagées dans la répétition du même. Elle est mortelle, l’incapacité de notre société occidentale à se regarder depuis un ailleurs, à s’envisager comme l’autre de l’autre. Le politique, les média, ont une très grande responsabilité sur ce sujet. Les conséquences en sont majeures – et désastreuses.  René Girard nous alerte: Là où la différence fait défaut, c’est la violence qui menace. (cité par Th.Fabre, Éloge de la pensée de midi, p. 83)

La pensée cosmologique des anciens Mexicains

La pensée cosmologique mexicaine ne distingue pas radicalement l’espace et le temps; elle se refuse surtout à concevoir l’espace comme un milieu neutre et homogène, indépendant du déroulement de la durée. Elle se meut dans des milieux hétérogènes et singuliers, dont les caractéristiques particulières se succèdent selon un rythme déterminé d’une manière cyclique. Il n’y a pas pour elle un espace et un temps, mais des espaces-temps où les phénomènes naturels et les actes humains sont plongés, s’imprégnant des qualités propres à chaque lieu et à chaque instant. Chaque « lieu-instant », complexe de sites et d’événements, détermine d’une façon irrésistible et prévisible tout ce qui s’y trouve placé.

Les plis du temps, p. 39 – Citation de J.Soustelle, La pensée cosmologique des anciens mexicains, 1940

NYC, Grand Central

Chaque fois que je retourne à New York, la gare de Grand Central1 est le premier point d’appui de mon parcours à Manhattan. J’y débarque du bus qui vient, à travers les express ways, de l’aéroport JFK. J’y prends le train sur la ligne de l’Hudson, qui longe le fleuve vers le Nord. Et chaque jour, j’y reviens. J’aime cette gare, surtout pour sa partie centrale, l’incroyable espace qui s’ouvre sur la salle des pas perdus où tant de gens se croisent, se donnent rendez-vous, dans une atmosphère que je trouve presque toujours festive, lumineuse et confusément sonore. Les couloirs d’accès comme le sous-sol sont une véritable caverne des tentations: on y trouve toute la variété que la planète peut offrir de nourritures odorantes, adaptées aux formats américains. Et, dans la semaine d’Halloween, des boutiques de pâtissiers dont les gâteaux monstrueux écrasent sur des vitrines encombrées leurs énormes panses oranges. Qui peut bien manger ça ?

On ne descend sur les quais qu’au moment d’embarquer, après s’être procuré un tchaï latte ou un capuccino dans un gobelet de carton. L’espace est surchauffé et ronfle de ventilateurs et de moteurs diesels bruyants. Mais, au retour, quand on émerge dans le hall majestueux, c’est chaque fois le même plaisir, à contempler la voûte étoilée de constellations.

Zagreb, Glavni kolodvor

Je me souviens de ce premier rendez-vous avec Vesna, devant la gare de Zagreb, après 18 heures de route depuis la Belgique. C’était à la fin de l’été 1978. Nous étions insouciants, j’avais roulé sur ces routes inconnues, toute la nuit, tout le jour, sans m’arrêter et j’arrivais dans cette ville pour la première fois.

Je me souviens aussi de cette nuit d’hiver, nous devions prendre un train pour la Slovénie, puis Salzburg et Munich. Je ne savais encore rien de cette langue et les haut-parleurs annonçant le retard parlaient dans le vide glacé. Nous avons passé des heures sur les quais à attendre ce train. Quand il est arrivé, les couloirs étaient encombrés de congères, les rideaux gelés cognaient dans le vent de la course nocturne contre les vitres que le froid avait bloquées. En comparaison, les compartiments surchauffés où s’entassaient les dormeurs, sentaient le suint, la transpiration, l’oignon et la viande séchée que des paysannes déchaussées nous proposaient.

Je me souviens de cette gare, que depuis j’ai revue tant de fois. Ces arrivées au soir tombant, après plus de vingt heures de train. Le changement à Munich, les paysages lentement déroulés d’Autriche et de Slovénie, quand le train se hissait au flanc des vallées. La locomotive qu’on changeait à la frontière croate – même en Yougoslavie, les états fédérés n’assuraient le service que sur leur territoire.

Et d’autres rendez-vous, et d’autres attentes, et des départs …

Je me souviens de cette gare.