Le chemin du passé

Le chemin du passé est facile d’accès (n’importe quel souvenir de temps révolus permet d’y entreprendre une excursion), le trajet est rapide et commode (quelques moments de calme suffisent généralement à opérer la transition) et sur place les restrictions de circulation s’avèrent quasiment inexistantes (la mémoire et l’imagination, les plus intimes et inventifs compagnons de route, y veillent systématiquement). Et quel que soit le déroulement du voyage, on peut progresser à un rythme confortable, que l’on explore des sites d’intérêt particulier ou que l’on se rende d’un endroit à une autre, sans tracas ni hâte. Aussi est-il parfois quelque peu déconcertant de retourner brutalement dans le pays du présent, si enclin à la précipitation.

Keith Basso, L’eau se mêle à la boue dans un bassin à ciel ouvert, p. 25

Ce que je fais m’apprend ce que je cherche

Je relis et extrais des notes du Journal IV de Charles Juliet. Je suis frappé de la coïncidence lorsqu’il cite Soulages: Ce que je fais m’apprend ce que je cherche.

Il ajoute: Impossible de dire plus brièvement ni avec des mots plus simples que peindre – écrire – c’est aller au devant de ce qui cherche à venir au jour, et à travers cela, au devant de la découverte de soi. C’est aussi dire dans le même temps que l’oeuvre ne peut en aucun cas procéder d’une idée qui lui préexisterait. Elle doit s’élaborer au fur et à mesure qu’elle prend forme.

Dans un article précédent [La découverte progressive de l’inattendu], je notais combien le chemin était plus important que le but, combien la découverte dépassait l’idée préconçue. La formule de Soulages trouve à s’illustrer dans toute forme de création. Juliet le notait pour l’écriture, elle m’apparaît tout aussi évidente pour la musique.

Des organismes-personnes

A aucun moment, (…) l’enfant ne commence ni ne cesse de tisser sa vie avec d’autres vies, à partir desquelles ces modèles que nous appelons « culture » sont continuellement produits. (…) Nous sommes tous – et avons toujours été des organismes-personnes. Pourquoi alors ne pas écrire sur ces organismes-personnes en les décrivant non comme des entités délimitées, mais au contraire comme des nexus composés de fils noués dont les extrémités détendues se répandent dans toutes les directions en se mêlant à d’autres fils dans d’autres nœuds ? (…) Ils (les hommes) ne vivent pas à l’intérieur de leur corps, comme les théoriciens de la société se plaisent à l’affirmer. Leurs traces s’impriment sur le sol, via leurs empreintes, leurs sentiers et leurs pistes ; leur souffle se mêle à l’atmosphère. Ils ne restent en vie qu’aussi longtemps que subsiste un échange continu de matériaux à travers des couches de peau en extension et en mutation constante.

Tim INGOLD, Marcher avec les dragons, p. 9-10