A s’y perdre…

C’est quand même un laboratoire incroyable, le corps. Mais, ça je pourrais être un peintre et vous le dire ; le corps est un laboratoire de recherche, de compréhension de l’homme, bien sûr, de l’humanité, du désir, de la pensée. C’est vraiment à s’y perdre, et c’est ça qui est très beau.

Olivier DUBOIS. Noté au vol sur Arte le 2 mars 2015, .

Le geste du passeur

La curiosité est une vertu d’homme libre et non de courtisan. Elle implique un éveil permanent pour lutter contre la torpeur, l’habitude, l’inertie, la faculté de toujours se laisser surprendre et la conscience de n’en avoir jamais fini avec le savoir, qui, lorsqu’on s’en approche, nous révèle ce qui reste à découvrir; la capacité aussi de prendre des risques: risque de rompre avec des certitudes, de se déstabiliser, de déranger, de troubler l’ordre convenu des choses. Paradoxalement cette pulsion, si largement partagée, est aussi le signe de ce qu’il y a de singulier en l’homme: chercher à savoir au-delà des connaissances élémentaires indispensables à sa survie et de ce qui semble strictement nécessaire. Il y a là une apparente inutilité proche de la gratuité. Comme toute passion, la curiosité pose la question des limites, justement parce qu’elle est sans limite. S’il y a un élan, une ampleur dans le désir de savoir, celui-ci trouve écho dans le geste du passeur: faire savoir et laisser découvrir, découvrir et dépasser, acquérir et transgresser.

Nicole CZECHOWSKI, La curiosité. Vertiges du savoir, Autrement, n°12, 1993.

Juliette, encore

En janvier 2010, Juliette Binoche était sur France Culture, dans une série d’entretiens qu’elle accordait à Jérôme Clément1. Je trouve toujours absolument remarquable la connaissance qu’elle a de son art, la compréhension de son métier. C’est une des artistes les plus intéressantes que je connaisse.

Dans le premier entretien – celui du 4 janvier, elle parle de la volonté, cette volonté de bien faire, … Elle dit: Cette volonté doit être cassée. Parce qu’on n’avance pas qu’avec la volonté, on avance aussi avec les laisser-faire, avec les arrêts, avec les brisures. Et là aussi, on a besoin de l’autre pour nous arrêter.

Et un peu plus loin: L’écoute, ce n’est pas une maîtrise. L’écoute de l’autre, c’est se laisser porter ; même s’il y a une négociation interne avec le désir qu’on a de soi et le désir de l’autre, mais cette négociation est magique quand il y a synergie, … qu’on ne sait plus qui crée quoi.

Le désir II

Un mot encore, sur le désir. Ou plutôt deux.

D’abord, il y a clairement un rapport entre le désir et le temps. Le désir s’inscrit dans la durée. Désirer s’effectue dans le temps, dans le temps du désir, justement.1 Le désir a ce point en commun avec la musique, le temps est le point de rencontre entre le désir et la musique. Mais autant le plaisir est dans l’immédiateté, dans la recherche compulsive de la réalisation instantanée, autant le désir me semble de l’ordre de la maturité : il gère l’inachevé, le perfectible.

Ensuite, si le désir est de l’ordre de l’inachevé, c’est bien dans une perspective dynamique : la poursuite de son objet est permanente, elle est le mouvement même qui anime la pratique. Il ne s’agit donc pas d’un inachevé à l’image d’un chantier abandonné, mais d’un inachevé stimulant, dynamique, qui motive la recherche permanente …