Faire danser les mots

La plus juste parole n’est surtout pas celle qui prétend « dire toujours la vérité ». Il ne s’agit même pas de la « mi-dire », cette vérité, en se réglant théoriquement sur le manque structurel dont les mots, par la force des choses, sont marqués. Il s’agit de l’accentuer. De l’éclairer – fugitivement, lacunairement – par instants de risque, décisions sur fond d’indécisions. de lui donner de l’air et du geste. Puis, de laisser sa place nécessaire à l’ombre qui se referme, au fond qui se retourne, à l’indécision qui est encore une décision de l’air. C’est donc une question, une pratique de rythme: souffle, geste, musicalité. C’est donc une respiration. Accentuer les mots pour faire danser les manques et leur donner puissance, consistance de milieu en mouvement. Accentuer les manques pour faire danser les mots et leur donner puissance, consistance de corps en mouvement.

Georges Didi-Huberman, Gestes d’air et de pierre, p.9

Je danse

Fin mai 2014, je danse avec Thierry Heynderickx et Martha Rodezno. Dès les premières minutes de ces trois jours d’atelier, un grand moment de reconnaissance. Je m’y retrouve, presque étonné de cette soudaine fraternité ou comment leur projet commun et leur travail sur le mouvement, sur l’expressivité, sur les émotions, sur l’intime, rencontrent mon projet et le travail que je mène depuis des années avec les chanteurs. Il est question du même mouvement, de la même dynamique, de la même recherche…

Nous sommes quelques stagiaires, danseuses et danseurs, et d’autres, musiciens, thérapeutes. Beaux moments de découverte, d’échanges, de drôlerie, de vérité, de confiance en somme. Nous travaillons sur mouvement/immobilité; silence/son; intériorité/extériorité; solo/collectif, toujours dans la recherche de l’authenticité – autant que possible, du geste, de la posture, du regard, de la voix, du mouvement. Tout est dans le lien: lien à soi, lien aux autres, lien à ce qui nous entoure, nous englobe, nous pénètre: l’air, la lumière, les sons extérieurs familiers ou étranges, la chaleur des corps. C’est un tissage du lieu, du temps qui forme la trame de notre danse.

Très beaux moments de découverte bienveillante. L’attention est centrée sur la pensée positive. La pensée d’un encouragement de moi à moi, sur ce que je peux faire, ce que je sais faire, même déjà depuis/dans le moment de l’écoute immobile. Positive aussi dans le déploiement des possibles : ce que je n’ai pas encore fait, ce que je n’ai pas encore réussi à faire, les chemins encore inexplorés, ce qui reste à faire, ce qui reste ouvert. Je m’appuie sur mon expérience – un passé individuel et collectif, et construis un futur de même. Grande importance du collectif, même dans le solo, qui se déploie sous le regard (bienveillant) des autres. Continuer la lecture de « Je danse »

L’expressivité du sensible II

Ce post fait suite à L’expressivité du sensible. J’en tire des pistes de travail pour les chanteurs/chanteuses.


  • La recherche des sources d’expressivité dans la voix incarnée/incorporée. Le rapport au souffle, qui est la clé, le vecteur, l’instrument véritable. Le rapport au corps comme instrument complet, non clivé, « organisme-personne ».
  • Travailler sur les micro-mouvements (intérieurs et extérieurs). Développer l’attention, l’écoute interne, individuelle, mais aussi collective, en pratiquant les échanges de micro-mouvements (mobilisation pour autrui, de l’épaule, du cou, de la tête, du bassin, etc …).
  • Partager la sensation du toucher ; de la chaleur, …

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Accompagner

Claude LEFORT, dans une conférence qu’il a donnée le 17 novembre 2007, rappelle: dans toute démarche herméneutique, dans tout travail d’interprétation (d’un texte, d’un programme, d’une injonction,…), nous devons renoncer au projet de maîtriser le texte mais plutôt choisir l’accompagnement de sa signification. Il nous faut accompagner le sens et non vouloir le maîtriser.

Par analogie, je travaille sur ce geste d’interprétation: accompagner la ligne musicale et non pas vouloir en prendre possession. Physiquement, il est très important de figurer le geste de l’accompagnement, quand le bras s’arrondit pour laisser le passage, ou quand le bras s’offre pour accorder le pas, … etc.
Constamment , je reprends ce travail de l’accompagnement : ne prenez pas votre voix en otage, ne cherchez pas à maîtriser le son ou la musique, mais ayez simplement ce geste d’accueil, de soutien, … La sonorité de l’ensemble en est transformée. Mais – en répétition, et souvent ! – il faut absolument le geste.