Enculturation

(…) la diversité linguistique est intimement liée à l’extrême plasticité de l’expérience humaine. (…) Nous étudions les langues étrangères parce que nous ne pouvons pas vivre suffisamment de vies.1
(…)
Dans le domaine de la biologie évolutionniste, il devient de plus en plus clair que le trait définitoire le plus fondamental de notre espèce est précisément son potentiel d’enculturation, son ouverture infinie aux complexes motifs que la culture et le langage tissent sur la trame enfantine de notre esprit.

Nicholas EVANS, Ces mots qui meurent. Les langues menacées et ce qu’elles ont à nous dire, p. 236

Dire: environnement

Gérard Mairet, dans son petit ouvrage Nature et souveraineté, note [p. 16.] comment le mot même d’environnement  trace la frontière entre l’humain et le non-humain. Alors que, précisément, comme le rappelle Michel Serres2:

Oubliez donc le mot environnement, usité en ces matières. Il suppose que nous autres hommes siégeons au centre d’un système de choses qui gravitent autour de nous, nombrils de l’univers, maîtres et possesseurs de la nature. Cela rappelle une ère révolue où la Terre (…) placée au centre du monde reflétait notre narcissisme, (…). Non. La Terre exista sans nos inimaginables ancêtres, pourrait bien exister aujourd’hui sans nous, existera demain ou plus tard encore, sans aucun de nos descendants possibles, alors que nous ne pouvons exister sans elle. De sorte qu’il faut bien placer les choses au centre et nous à leur périphérie, ou mieux encore, elles sont partout et nous dans leur sein, comme des parasites.

L’hospitalité

Le seul mode qui rend (rendrait ?) possible d’habiter ensemble cette terre.

Jean-Pierre Vernant, alors jeune voyageur en Grèce (en 1935), comme quelque temps plus tard Jacques Lacarrière 3, note l’extraordinaire hospitalité des Grecs:

C’est une leçon que je n’ai jamais oubliée, la démonstration, encore bien vivante aujourd’hui chez moi, que quand un étranger arrive dans un village, les gens du village considèrent que cet étranger leur fait honneur, qu’il leur apporte quelque chose; c’était la dispute sur la place pour savoir qui nous prendrait chez lui ! 4

Le même note un peu plus loin [page 92]:

Homère opposait déjà le monde des hommes civilisés à celui des sauvages, c’est-à-dire des individus qui ne respectent pas les règles, en particulier les règles de l’hospitalité; (…)

Je ne sais plus où j’ai noté que le mot grec xenos veut dire hôte et non pas étranger; xenia, c’est l’hospitalité. Et où ai-je lu que xenos viendrait du nom de « Zeus » et donc est lié à la divinité ? Voilà qui renverse la perspective.

La sagesse bouddhiste dit aussi: Autour du feu, il n’y a plus ni hôte, ni invité.


Et sur ce mot, la voix des poètes:

L’hospitalité envahit le monde, le jardin, les livres qui me servent de contre-poids. L’hospitalité approche les êtres et les choses, l’hospitalité ne fait plus peur, l’hospitalité est le silence intérieur, est un tournoiement d’abeilles, est la chaise inoccupée, est le visage des disparus, est la beauté d’une passante. L’hospitalité porte le nom de tous les dieux, elle annonce la venue du dieu oublié, elle dresse la table, elle attend la tombée du jour … l’utopie chante l’hospitalité sur l’air de la mélodie du bonheur.

Gaspard HONS, Un papillon posé sur un livre de Georges Perec

Il disait aussi: Il y aura toujours un érudit loquace et passablement convaincant qui, à grands renforts d’arguments, attribuera la progressive dégradation de notre relation à autrui, à l’obstination de quelques-uns à croire encore l’homme capable d’hospitalité. Evite-le.

En deçà de la responsabilité, il y a la solidarité.
Au-delà, il y a l’hospitalité.

Edmond Jabès, Le Livre de l’Hospitalité, Gallimard

L’identité

L’identité, loin d’être figée, immuable – comme on tente de nous en convaincre sur le fonds entretenu d’une prétendue insécurité – est en perpétuelle construction, en permanent ré-agencement. Elle ne se construit que dans la communauté de nos échanges, dans notre rapport à l’autre comme dans l’approfondissement de la découverte de nous-même.

Voici quelques notes relevées sur ce point.

Faute5, par Michel Serres.

Serres est marqué sur ma carte d’identité. Voilà un nom de montagne, comme Sierra en espagnol ou Serra en portugais; mille personnes s’appellent ainsi, au moins dans trois pays. Quant à Michel, une population plus nombreuse porte ce prénom. Je connais pas mal de Michel Serres: j’appartiens à ce groupe, comme à celui des gens qui sont nés en Lot-et-Garonne. Bref, sur ma carte d’identité, rien ne dit mon identité, mais plusieurs appartenances. Deux autres y figurent : les gens qui mesurent 1,80 m, et ceux de la nation française. Confondre l’identité et l’appartenance est une faute de logique, réglée par les mathématiciens. Ou vous dites a est a, je suis je, et voilà l’identité; ou vous dites a appartient à telle collection, et voilà l’appartenance. Cette erreur expose à dire n’importe quoi. Mais elle se double d’un crime politique: le racisme. Dire, en effet, de tel ou tel qu’il est noir ou juif ou femme est une phrase raciste parce qu’elle confond l’appartenance et l’identité. Je ne suis pas français ou gascon, mais j’appartiens aux groupes de ceux qui portent dans leur poche une carte rédigée dans la même langue que la mienne et de ceux qui, parfois, rêvent en occitan. Réduire quelqu’un à une seule de ses appartenances peut le condamner à la persécution. Or cette erreur, or cette injure nous les commettons quand nous disons: identité religieuse, culturelle, nationale… Non, il s’agit d’appartenances. Qui suis-je, alors ? Je suis je, voilà tout; je suis aussi la somme de mes appartenances que je ne connaîtrai qu’à ma mort, car tout progrès consiste à entrer dans un nouveau groupe: ceux qui parlent turc, si j’apprends cette langue, ceux qui savent réparer une mobylette ou cuire les œufs durs, etc. Identité nationale : erreur et délit. Continuer la lecture de « L’identité »