Parler avec les gens ?

RER C. « Hier, un mec a manqué de respect à mon copain, dit une fille à une autre. Tu sais ce qu’il a fait, mon copain ? Il a pris son crayon à bille et il lui a planté dans le bras. Le sang pissait de partout. Morte de rire, j’étais. » Vous voulez la suite ? Vous voulez savoir en quoi et comment le mec a manqué de respect au copain de la fille ? C’est simple : il lui a parlé. Vous avez bien entendu : il lui a parlé.

Vous arrivez à parler avec les gens, vous ? À parler vraiment ? À causer comme on disait autrefois ? Comme deux voisins dont les jardins sont séparés et reliés par un ruisseau et un pont et qui, sans se demander à qui appartient le pont, viennent parfois s’appuyer sur la rambarde, regardent les poissons, s’intéressent au temps qu’il fait en eux… Vous y arrivez, vous ? Moi, de plus en plus mal. Sauf avec quelques pauvres qui se sont faufilés entre les mailles.

« On s’appuie sur un coussin de paroles pour faire son solo », dit un écrivain africain. L’idée est élémentaire mais l’emploi du mot « coussin » en transforme le sens, en multiplie la force et donne à une formule banale une dimension de profonde intériorité. Où les avons-nous entendues, ces paroles légères et chaleureuses qui nous ont revigorés ? Qui les a prononcées ? Comment, plume après plume, l’avons-nous composé, ce coussin ? Des paroles souples pour un repos actif, pour des projets sans outrance, sans défi, sans angoisse, sans crainte : il faut toute une vie pour ce coussin-là ; nul commerce, même s’il fait dans les idées, ne le propose tout cousu. C’est le kit de l’attention discrète, panoramique, clandestine, des relations mystérieuses entre souvenirs, pensées, sensations apparemment hétéroclites et qu’unissent, en dépit des erreurs et des fautes, des liens inespérés, inouïs, incompréhensibles. Vive le coussin chaleureux et doux de la dépossession tranquille !

Jean SUR, Le Marché de Résurgences, 31 mars 2006

La gorge, l’intime

L’humanisme de Rabelais reprend au fond tous les points faibles de l’humain et, au lieu de les arrêter en quelque économie de la faute et du salut, en montre la profonde fécondité dans la relation à soi et aux autres. Et peut-être n’a-t-il jamais été aussi rigoureux que lorsque dans sa lignée gigantale, il a identifié la gorge comme le point le plus sensible et le plus résonnant de l’être humain. « Pantagruel les prend à la gorge », c’est le trait le plus constant de la légende de Pantagruel avant même le roman rabelaisien. Après le travail d’élaboration du Maître chinonais, la gorge, qui est à la fois attente du Graal et point géométral de tout le cosmos, s’associe à un mot universel, TRINCH, « trinque », aux lettres susceptibles de toutes les permutations kabbalistiques, et c’est à cette gorge ouverte à la libre circulation entre le haut et le bas que reviendra la charge d’articuler le cri primordial, celui qui unit les hommes partageant la souffrance et le plaisir, invoquant Dieu dans toutes les langues du monde et accédant à la contemplation de la Nature dans toutes ses forces invisibles.

Bruno PINCHARD, Un tour du monde avec Rabelais, Dossier de l’ISH.

Intéressant, éclairant toujours, … pour les praticiens de la gorge ! J’ai « mal à la gorge » ? « Voix de gorge », « à gorge déployée », « la blancheur de votre gorge », … C’est l’intimité  qui est déployée. Ce qui explique aussi les pudeurs, les craintes, les angoisses, … dans la pratique vocale.

Continuer la lecture de « La gorge, l’intime »