Le chant magique des Achuar

La belle découverte de Philippe Descola. Lors de son 1er séjour chez les Achuar, un peuple de la haute Amazonie, entre Equateur et Pérou, il note :

Nous avons découvert que les Achuar passaient une grande partie du temps à chanter des incantations magiques pour communiquer avec des êtres qui étaient soit très loin, soit présents mais ne parlant pas leur langue. Ces incantations s’appellent des anent, qui vient de enentai, le cœur : ce sont des discours du cœur, des discours de l’âme, chantés mentalement, ou murmurés, mais dont les paroles sont difficiles à distinguer. Ce sont des injonctions adressées à des parents ou à un conjoint éloignés (par exemple, une femme chante à son mari parti en guerre de revenir sain et sauf ; ou un homme chante s’il est fâché avec son beau-frère pour essayer de l’apaiser en lui recommandant d’être bienveillant à son égard, etc.), ou des chants d’accommodement à l’égard des plantes ou des animaux.

En découvrant l’existence de ces incantations, en les enregistrant et en les traduisant, nous avons découvert que les Achuar communiquaient constamment avec des interlocuteurs non humains qu’ils traitaient comme des personnes. (…)

Philippe Descola, Une écologie des relations, CNRS Editions

Et que disent-ils de la beauté ?

Merveilleuse diversité, qui éclaire notre pratique et modifie notre sensibilité...

Sylvie Crossman & Jean-Pierre Barou, Enquête sur les savoirs indigènes, Les Navajo: un peuple médecin, p. 143

Les auteurs notent que le mot hozho, dans la langue des Navajo, signifie à la fois beauté et santé.

En japonais, on dit de la beauté qu'elle remplit l'air (kaoru). A la façon d'une senteur.

Ito Naga, Iro ma ka mo, la couleur et le parfum, p.12

Routes

Suivre un trajet est, je crois, le mode fondamental que les êtres vivants, humains et non humains, adoptent pour habiter la terre. (…)

Chez les Inuits, il suffit qu’une personne se mette en mouvement pour qu’elle devienne une ligne. Pour chasser un animal, ou retrouver quelqu’un qui s’est peut-être perdu, les Inuits tracent une piste linéaire dans l’étendue et se mettent en quête d’indices menant à une autre piste jusqu’à atteindre le but recherché. Le pays entier est donc perçu comme un entrelacs de lignes et non comme une surface continue.

Tim INGOLD, Une brève histoire des lignes, Z/S

Les routes aux États-Unis suivent souvent le tracé d’anciennes pistes indiennes, et même certaines rues des grandes villes dont Broadway est l’exemple le plus célèbre. (…) Les Américains ont d’ailleurs ce qu’on peut appeler une « culture » de la route qui nous est inconnue en Europe (…). Il semblerait (…) que les grands sentiers de migrations indiens étaient tracés par les bisons. Les Indiens de toutes façons se déplaçaient beaucoup et facilement : ils pouvaient se dérouter au moindre prétexte — la visite d’un ami, une fête, un raid sur un village voisin. Les sentiers étaient de différents types avec des fonctions précises : celui qui mène aux champs, celui qui conduit au monde extérieur et puis aussi le fameux « sentier de la guerre » qui existait vraiment.

Gilles A. TIBERGHIEN, Notes sur la nature, la cabane et quelques autres choses

Voir aussi, sur une autre page, Mémoires indiennes.

Mémoires indiennes

Le film de Arthur LAMOTHE, Mémoire battante (1992), est un très long document sur ce qui restait de la vie traditionnelle des Indiens Montagnais dans le Nord Québec, à la fin des années 60 et dans le courant des années 70, au moment où il a réalisé ce reportage: la vie dans la réserve, la vie sauvage, la chasse, les pratiques rituelles (la « suerie », …) , l’évocation des rites (la « tente tremblante »), la langue, le vocabulaire extrêmement subtil qui touche à la nature, à la géographie des lieux, aux pratiques rituelles, …

En écho, je me souviens d’avoir vu, il y a quelques années, un autre film canadien: Voyage en mémoires indiennes, de Jo BERANGER (2004). C’est le long parcours du souvenir de l’acculturation violente subie par de nombreux enfants, arrachés à leurs parents, à leur vie, pour être « civilisés » de force dans des écoles animées par des congrégations religieuses.
Voir à ce sujet: les excuses officielles du gouvernement canadien, en 2008, comme condition de réconciliation.

Ce film présente aussi une expérience tout à fait originale d’école reprise et gérée entièrement par une communauté indienne du centre du Canada: le Blue Quills First Nations College. Un modèle (unique ?) de prise en charge de l’éducation des enfants des « peuples premiers », dans le respect de leurs traditions ancestrales. A voir.1

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