Bien respirer !

Pierre Alechinsky raconte son premier voyage au Japon. Il avait 27 ans. Jeune peintre, il était fasciné par la calligraphie japonaise et voulait rencontrer les maîtres de l’art. Lors d’une de ces rencontres, il interroge le calligraphe : quel conseil peut-il lui donner ? a-t-il un secret pour pratiquer cet art ? La réponse que reçut Alechinsky lui parut, dit-il, dérisoire de prime abord. Le maître lui dit : « il faut seulement être bien assis et bien respirer. » J’aime cette leçon – qui n’a rien de dérisoire, comme le peintre l’a compris par la suite : dans sa simplicité, et dans l’attention qu’elle porte à deux éléments essentiels – la posture et le souffle, elle est parfaitement adaptée à l’art du chanteur.

Le lyrisme

Je découvre avec plaisir ces quelques lignes, qui tentent une définition du lyrisme, appliqué à l’écriture romanesque ou à l’écriture théâtrale, mais que je trouve tout à fait pertinente pour approfondir notre réflexion sur cette « voix lyrique » que je demande aux chanteurs de travailler.  Quelle coïncidence,  mais pas étonnante finalement, d’y trouver des références au souffle et à la voix.

Le lyrisme.
Non pas les épanchement sirupeux du moi, mais ce composé d’éléments divers qui permet d’identifier une forme sans constituer pour autant un concept, et qui comprendrait entre autres et sans hiérarchie: la mise en scène de l’émotion (le texte lyrique est un texte ému, un texte qui transporte); la prédominance de la voix (l’oralité, la mise en bouche de la langue, la présence du corps pulsionnel; mais aussi la langue orale, familière; mais aussi l’oratoire, le déploiement de la voix dans la durée, et donc le souffle); la célébration admirative; l’organisation du temps par un rythme sensible (et donc la scansion par reprises: litanies, anaphores, ressassements, condensés métaphoriques récurrents). (…)

[Jean-Paul Goux, in Revue L’Animal, n°16 – printemps 2004, consacré à François Bon, p.167]

J-P.Goux ajoute plus loin une citation de Rilke: Le lyrisme tend à « la transmutation intégrale du monde en splendeur ».

C’est exactement ça… Beau programme pour une pratique musicale, non ?

Ecouter en arrière

Et il écoutera en arrière.
Livre d’Isaïe, 42-43.

Dans le travail avec l’ensemble vocal, je cherche à développer la capacité des chanteurs à se rendre disponible à l’instant, « rien que » pour l’accord que l’on fait vibrer. C’est à la fois le don – par le souffle – et l’écoute des autres et de l’équilibre ainsi créé. Sans projet, sans projection, sans objectif. « Rien que » cette disponibilité méditative plutôt que réflexive – celle qui ne génèrerait qu’une écoute inquiète de son propre son.

J’ai rencontré plusieurs fois à Rennes, Gabriel André – il dirige l’école de chant choral de St-Vincent. Je me souviendrai toujours de sa recommandation aux chanteurs : Faites la preuve que vous savez écouter ! (et pas que vous savez chanter, ce qui va de soi, ce dont tout le monde convient…).

Le boum & le hey

Cynthia Loemij, danseuse de la Compagnie Rosas, expliquait que le geste qui fonde le travail de la chorégraphe Anne Teresa De Keersmaeker est simple et s’illustre en deux interjections : le « boum » et le « hey ».

Le « boum » marque la battue, le point d’impact, le rapport au sol, à la terre, mais aussi à la mort, au « lâcher-prise ».
Le  « hey » est le cri de l’envol, de la posture aérienne, et symboliquement le mouvement de la vie.

Ces deux interjections ne s’illustrent pourtant pas dans un geste, mais s’expriment dans le souffle. Il y a là une belle analogie avec le travail du chanteur : dans le chant, le mouvement d’expiration – qui est celui de la profération, de la mélodie, du cri, … est un geste actif, tandis que le moment de l’inspiration correspond à la détente, à l’ouverture, il doit être le moment parfait du relâchement et de l’inactivité. Et non l’inverse. Le « boum » est donc inspiration, détente du ventre, du visage, reprise d’élasticité et retour vers le sol, ce qui est « en bas » ;  le « hey » est lié à l’expiration active, c’est le chant qui s’élève, le dessin aérien par excellence.