Notre voix, en propre

Dans l’usage que nous faisons de cette voix qui est la nôtre, il s’agit surtout de ne pas « jouer », mais d’être. Ne pas passer sur le mode déclamatoire ! A l’instar du comédien, c’est notre voix en propre, même si nous la prêtons, à un rôle, à une ligne mélodique. Vivre et montrer les émotions qui nous sont propres. Dans tous les cas, à travers notre voix, l’auditeur reconnaît alors sa propre voix, ses propres émotions, son souffle, ses gestes, alors que, au départ, ni la voix, ni le geste, ni la posture ne lui sont familières, encore moins semblables. Pourtant notre voix, notre souffle, notre geste sont fondamentalement lui-même, son humanité reconnaissable.

L’espace intérieur

Comment être pensé par la nature.

C’est comme s’il y avait une merveille constante autour de nous dans la nature, mais qui ne peut être touchée réellement… Qui peut être observée tout le temps, mais qui ne peut être touchée réellement que dans l’espace intérieur qui est en nous, qui est beaucoup plus immense qu’on ne l’imagine ; la nature ne peut correspondre à cet espace intérieur qu’à l’improviste, par surprise, tout à coup. Et il faut laisser un rythme physique avec la marche, le pied, le souffle, la respiration et puis l’esprit en même temps, libre par rapport à cela. Regarder, détailler le monde sans insister, pouvoir s’en apercevoir. (…)

Maurice CHAPPAZ, A-Dieu-Vat, Entretiens avec Jérôme Meizoz, p. 99

L’adresse

Où il est question de l’adresse :  à qui s’adresse mon cri ? à qui s’adresse ce geste de création, ce foisonnement de l’écriture, ce mouvement, ce pas de danse, cet élan du corps, cet envol de la voix, cette poussée du souffle ?

L’homme qui s’écrit/s’écrie: l’homophonie n’est pas neutre. Et le cri, c’est bien plus que l’adresse à un public. Maurice CHAPPAZ écrit quelque part (A-Dieu-vat, p. 179), que l’homme qui écrit appelle sa mère aussi.

Il est curieux de noter que plusieurs auteurs, aussi différents que Chappaz, Vonnegut ou Lu Xun, pressentent une adresse similaire: celle qui va au public d’une seule personne.

Je soupçonne que toute création qui possède une unité vraie et une harmonie bien à elle est le fait d’un artiste ou d’un inventeur qui a dans sa tête une personne bien précise qui lui sert de public.

Kurt VONNEGUT, Le cri de l’engoulevent, p.24

La création, même quand elle n’est qu’un épanchement du coeur, souhaite se trouver une audience. La création est sociale par définition même. Mais elle peut fort bien se contenter d’un seul lecteur : un vieil ami, une amante. (LU XUN, cité par Simon LEYS, in Écrits sur la Chine, p. 715)

Ruach

Le mot hébreu Ruach a 4 significations : le sens original est « le vent » ; les sens dérivés : « nullité, vanité » ; « souffle de vie » ; « humeur, colère ». (notons le rapport entre le vent, le souffle et l’émotion).

Ruach est donc à la fois le « bruit de fond », le vent qui précède l’apparition de tout son élaboré, le chaos sonore ; mais aussi le souffle de vie, celui qui crée, et le vecteur de l’émotion primaire. Avec une connotation forte de vacuité, de nullité. Le chant, qui participe de tous ces sens à la fois et émerge du bruit de fond comme le son le plus élaboré, est aussi le vecteur privilégié des émotions. Son espace est intangible et vacant.

François CHENG (Dialogues avec F.Rey, p.32) présente cette vacuité, ce vide dans la tradition chinoise:

Le vide positif est donc à percevoir comme l’espace où se régénère et circule le souffle, le lieu par excellence où s’effectuent les transformations. Ni principe abstrait, ni catégorie vague, le vide est dynamique, intervenant au sein de la vie courante. Pour ce qui est du fonctionnement du souffle lié au vide, on distingue, à la base, trois souffles qui agissent en concomitance : le Yin (douceur réceptive), le Yang (puissance active) et le vide-médian. Ce dernier prend place lorsque le Yin et le Yang sont en présence ; il a le don naturel d’entraîner les deux souffles dans l’interaction, et par là dans le processus de la mutation réciproque. En ce sens, la pensée chinoise est résolument ternaire.

Le souffle est un mouvement circulaire, ininterrompu, qui englobe inspiration et expiration, comme un aller-retour pacifique. Il met le corps en contact avec la terre, comme si le rythme respiratoire du chanteur s’accordait au mouvement des choses et des êtres. L’air est à la fois l’aliment du chant et le vecteur de la vibration , qui est elle-même dans le corps – partie intégrante de son rythme (cardiaque et respiratoire), et à l’extérieur, comme onde vivante, multiple, en perpétuelle évolution.