La mémoire, masculin, féminin ?

(Comme) le même mot, à une nuance vocalique négligeable près, le même mot hébreu ZaKHaR dit à la fois le « masculin » et la « mémoire », l’auteur (d’un commentaire talmudique) en conclut que le mot NeQeVa qui dit le « féminin » – et qui signifie étymologiquement trou – n’est certainement pas à entendre autrement que comme « trou de mémoire ». Il plaide pour la pertinence de son propos en relevant que le corps féminin, pourvu de l’horloge biologique flagrante que constituent les règles, permettrait aux femmes ni plus ni moins que l’oubli… Il s’agit bien sûr d’une vision du monde agencée et portée par la langue hébraïque. On la retrouve pourtant dans la langue arabe – il est vrai que les deux langues sont très proches. La langue arabe désigne elle aussi le masculin et la mémoire par le même mot DKaR – notez la proximité phonétique avec ZaKHaR. Mais elle va plus loin encore en désignant les femmes par le mot NSa, qui dérive du radical ANaSa, lequel signifie « oublier » et par extension « distraire ». Serait-ce à dire que les femmes ne s’encombreraient pas du superflu, privilégiant le seul essentiel ? (…)

Aldo NAOURI, Le temps dans l’amour et la relation thérapeutique, in Conférence n°26, p. 32-33

Le travail de deuil / incarnation

Le discours de l’historien reconduit les morts, les ensevelit. Il est déposition. Il en fait des séparés. Il les honore d’un rituel qui leur manque. Il les pleure. Car toute quête historique cherche  à calmer les morts qui hantent encore le présent et à leur offrir des tombeaux scripturaires. L’histoire est aussi une des modalités du travail de deuil, tentant d’opérer — avec bien des difficultés de tous ordres — l’indispensable séparation des vivants et des morts.

Annette WIEVIORKA, Auschwitz 60 ans après , pp.280-281

Mémoires indiennes

Le film de Arthur LAMOTHE, Mémoire battante (1992), est un très long document sur ce qui restait de la vie traditionnelle des Indiens Montagnais dans le Nord Québec, à la fin des années 60 et dans le courant des années 70, au moment où il a réalisé ce reportage: la vie dans la réserve, la vie sauvage, la chasse, les pratiques rituelles (la « suerie », …) , l’évocation des rites (la « tente tremblante »), la langue, le vocabulaire extrêmement subtil qui touche à la nature, à la géographie des lieux, aux pratiques rituelles, …

En écho, je me souviens d’avoir vu, il y a quelques années, un autre film canadien: Voyage en mémoires indiennes, de Jo BERANGER (2004). C’est le long parcours du souvenir de l’acculturation violente subie par de nombreux enfants, arrachés à leurs parents, à leur vie, pour être « civilisés » de force dans des écoles animées par des congrégations religieuses.
Voir à ce sujet: les excuses officielles du gouvernement canadien, en 2008, comme condition de réconciliation.

Ce film présente aussi une expérience tout à fait originale d’école reprise et gérée entièrement par une communauté indienne du centre du Canada: le Blue Quills First Nations College. Un modèle (unique ?) de prise en charge de l’éducation des enfants des « peuples premiers », dans le respect de leurs traditions ancestrales. A voir.1

Continuer la lecture de « Mémoires indiennes »

Qu’est-ce qui est « résolu » ?

[Ce petit texte de Walter BENJAMIN fait écho en moi à … « l’irrésolu, qui le résout ?  » de Goethe, dans son hommage à Nezâmi . Benjamin répond à la question, d’autre façon. Le mystère, l’incertitude, demeurent].

Qu’est-ce qui est « résolu » ? Toutes les interrogations de la vie déjà vécue ne demeurent-elles pas derrière nous, comme une coupe de forêt qui nous bouchait la vue ? La défricher, ou ne serait-ce que l’éclaircir, nous y songeons à peine. Nous continuons à avancer, nous la laissons derrière nous, et, vue de loin, le regard peut certes l’embrasser, mais elle reste indistincte, incertaine et dans une confusion d’autant plus énigmatique.

Sens unique, p. 118