Le rire de Marcel Detienne

Marcel DETIENNE est un anthropologue « comparatiste». Né à Liège (un compatriote !) en 1935, élève étranger à l’Ecole normale supérieure, il a fait une grande partie de sa carrière aux Etats-Unis comme professor of classics de la prestigieuse université Johns-Hopkins à Baltimore. Il est un des grands spécialistes de la Grèce antique, qu’il étudie pour la comparer aux autres cultures et civilisations.

Je lis notamment de petits ouvrages dans lesquels il analyse – avec quelle liberté et quelle vivacité d’esprit ! – ce qu’on peut entendre par « identité », ce qu’il appelle les « mythidéologies » dont les plus anciennes remontent à cette antiquité qu’il connaît bien. Je recommande notamment deux titres, qui oxygènent radicalement l’esprit, dans ces temps troublés de quête pathologique d’une identité illusoire: Comment être autochtone (du pur Athénien au Français racinien) (Seuil) et un tout simple Où est le mystère de l’identité nationale ? (éditions Panama).

En novembre 2009, il est interrogé par Sylvain Bourmeau, pour le site de Mediapart. C’est un entretien roboratif, parfaitement réjouissant, intitulé L’identité nationale, c’est l’hypertrophie du moi. L’entretien est d’autant plus réjouissant qu’on y entend Marcel Detienne régulièrement secoué par un rire contagieux. D’aucuns – dans les commentaires notamment – s’en sont émus: le sujet est trop grave, il n’y a pas de quoi rire ! Mais j’adore ce rire impertinent, le rire étonnant du philosophe ! Toute la candeur d’une intelligence acérée est là, quand elle évite de se prendre au sérieux.

La ressemblance

Ramuz écrit: Je vais de partout vers la ressemblance, c’est l’Identité qui est Dieu.

Cette citation me sollicite et m’intrigue; je voudrais en creuser le sens. Comment la comprendre ? comme la profession de foi de l’artiste ? Celui qui s’approche, qui « va vers… », de partout, de tous ses sens, de tous les points du monde qui éveillent sa curiosité, … mais qui jamais n’atteint l’Identité. Sa recherche, sa quête ne sont sans doute pas dans cette Identité inaccessible. L’Identité serait-elle solitaire ? Un proverbe turc rappelle que la solitude sied à Dieu seul. La ressemblance, ce serait aussi la perfection de l’échange, de la rencontre, de la relation ? qui respecte l’irréductible altérité mais trace l’horizon de la reconnaissance.