A l’intérieur ?

Dans Voix off, Denis Podalydès évoque notamment la voix de Jean-Pierre Vincent (au Conservatoire de Paris en 1988). Il fait travailler les jeunes comédiens, avec une rigueur que Podalydès transcrit bien, dans une écriture hachée:

Il reprend la pièce entière, commente, argumente, alimente, sédimente, décèle l’impensé, chasse le préjugé, lutte contre le jeu en général, ce qui lui apparaît comme le comble de la convention bêtifiante: jouer en dehors de l’histoire, de la grande et de la petite histoire, dans une immobilité, une éternité sentimentale où seraient une fois pour toutes fixés les expressions, les émotions, les effets. Bercés dans et par cette illusion, nous nous croyons, nous sentons vraiment nous-mêmes, purs et sincères, délicieusement naïfs, fidèles à notre nostalgie d’enfance, nous nous laissons aller, rêvons, faisons semblant, ne voyons pas que nous sommes artificiels, vides, morts.

Un peu plus loin, c’est une belle leçon de théâtre, mais de ces leçons que tout musicien peut prendre: elle est paradoxale, apparemment; parce que nous n’arrêtons pas de penser, de croire et de tenter de faire croire, que c’est bien en nous, au plus profond, à l’intérieur, que se cache ce qui fait sens, ce qui donne chair à nos émotions, ce que nous avons donc de plus intime et de meilleur à partager.

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La vie moderne

Le dernier ouvrage de Raymond Depardon, La vie moderne, à la fois me comble et éveille en moi une irrépressible nostalgie. Dès les premières images, je me suis dit: je voudrais être là, dans ce paysage magnifique, sur cette route, devant cette vallée. J’ai un souvenir très précis du Pont de Montvert, où je me suis arrêté avec des amis, à l’étape d’une longue route entre le Tarn et les Alpes. Pourquoi ce pays marque-t-il aussi fortement ?

Les portraits de Depardon

Les portraits de Depardon sont magnifiques: on ne sait plus très bien si c’est son œil, sa façon de filmer, son interrogation attentive, lente, pleine de silences, ou si c’est la personnalité de chacun de ses interlocuteurs qui ouvre l’image d’une telle façon. Dans chaque portrait, il y a des regards qui nous transpercent, qui passent au-delà de nous, au-delà de ce temps qui est le nôtre. Est-ce la lumière ? est-ce l’angoissante avancée du temps ? Continuer la lecture de « La vie moderne »

La confrontation créative

Dans la pratique collective, il me semble important de ne pas évacuer – au nom d’une rencontre idéalisée, fusionnelle – la dimension de la confrontation.

La sonorité de l’ensemble se déploie dans la mesure où chacun y joue un rôle déterminant. Il est donc indispensable que les « egos » soient assez forts, individualisés, identifiés, pour que la rencontre ait lieu, sous cette forme qu’on appellera la « confrontation créative ». Il peut sembler paradoxal que la plus belle des cohérences naisse de la plus stricte individualisation. Et pourtant, quiconque pratique la musique le sait: le mariage des timbres comme la collaboration des personnalités créent la sonorité unique de l’ensemble.
 Il est clair alors que la musique naît d’une interaction et qu’elle n’est donc jamais un phénomène de reproduction, même à un très haut niveau de qualité. Le travail de la répétition est concentré sur cette interaction. Répéter pour tenter de reproduire un modèle idéal n’aurait aucun sens.

Entre les musiciens chanteurs, amateurs ou professionnels – cette distinction est encore moins pertinente ici que nulle part ailleurs, ce qui compte le plus est bien la capacité de coopération, entendue comme une confrontation ludique et féconde, tant en termes de compétence que de volonté.

[Je vous invite à découvrir l’article intéressant publié par Rue89, consacré au Trip to Asia de l’Orchestre philharmonique de Berlin. On y évoque notamment cette question de la confrontation: Le son de l’orchestre émane de la friction entre des personnalités très variées dans un espace très restreint.]

CONFERENCE

Il y a quelques années, en 2001 ou 2002, en parcourant la Toile, je suis tombé par hasard sur l’annonce de la parution du prochain numéro de la revue Conférence. Je l’ai commandé. Je pense me souvenir qu’il s’agissait d’un numéro dont le thème principal était la tradition. En fait, trois numéros successifs de cette revue étaient consacrés à ce thème: le n°12 Transmettre, instituer; le n°13 Enseigner, éduquer et le n°14 La filiation.

La première lecture de Conférence fut une véritable découverte: je me suis demandé comment j’avais pu ignorer si longtemps l’existence de ces 2 volumes annuels, comptant chacun plus de 500 pages de papier bible, réunissant des contributions aussi riches et diversifiées, toujours d’un niveau intellectuel d’une très haute qualité.

Conférence a publié notamment Maurice Chappaz, Philippe Jaccottet ou Nicolas Bouvier à qui je déclare par ailleurs mon admiration.
La revue est dirigée par Christophe Carraud, qui y contribue largement aussi.

Conférence, c’est enfin un site internet, qui reprend notamment le répertoire des articles parus.

Je reviendrai par ailleurs, au fil des lectures – et avec le temps, sur un certain nombre d’articles parus dans Conférence.