La transmission

Dans une émission du samedi matin [en novembre 2007], animée par Alain Finkielkraut, Alain-Gérard SLAMA évoque la littérature. En vieillissant, dit-il en substance, je mesure de plus en plus que la littérature est le fondement, le tissu, le lieu d’une sociabilité réelle.

Il se refuse à utiliser le mot appartenance. Il fait en quelque sorte l’éloge de la transmission. Moi-même, je m’y reconnais, je suis l’héritier de cette tradition. Mes parents étaient tous les deux des lecteurs et ils m’ont transmis cette culture, par leur amour des livres et de la lecture. J’ai réalisé, il y a quelques années, que mon travail de direction de chœur était aussi largement animé par ce souci de la transmission. Et que l’objet en était un héritage que je sens à la fois extraordinairement partagé – le chant polyphonique est une pratique d’un grand nombre de peuples du monde, même s’il est profondément discrédité par une société marchande qui assure la promotion et la vente de produits culturels pré-formatés, et singulier – parce que j’y trouve ce qui fait mon caractère et mon plaisir de l’accord. Finkielkraut allait plus loin, dans où une voie où je refuse de le suivre : il parlait des professeurs d’aujourd’hui, en charge de la transmission de la culture classique, comme des membres d’une ONG humanitaire qui ne travaillent plus dans l’ordre de la transmission mais dans l’ordre de la pitié. Consternant ? … Terrifiant !

La fracture

Nous vivons exactement sur la ligne de fracture entre le monde de la nature dont nous sommes chassés, ou dont nous nous excluons nous-mêmes, et cet autre monde qui est généré par nos cellules nerveuses. Et donc, il est clair que cette ligne de fracture traverse notre condition physique et psychique. Et c’est probablement à l’endroit où ces plaques tectoniques frottent l’une contre l’autre que résident les sources de douleur… Et je ne pense pas qu’il y ait une quelconque façon d’y échapper… D’ailleurs, en réalité, je n’ai pas très envie d’être tiré d’affaire.

W.G. SEBALD, D’après nature.

J’aime ce moment où Sebald passe du « nous » au « je »; il se passe quelque chose, un « événement » qui nous en apprend sur lui et sur nous-mêmes…

L’artiste, le créateur, le spectateur

Pour être un artiste, il faut le talent, la chance, le travail. Mais c’est le spectateur qui fait l’art.

A l’occasion du Forum Culture Lille 2004 (La culture, une exigence collective, Lille le 16 décembre 2004), Jean-Pierre Vincent, comédien et metteur en scène, apportait cette précision: si le spectateur ne fait pas l’art, s’il n’est pas créatif, il est déçu. Il faut donc faire en sorte de laisser cette porte ouverte, pour que le spectateur soit un créateur.

J’ajoute que, dans la musique notamment, mais dans d’autres formes d’expression artistique, l’émotion est le vecteur majeur de cette possibilité.

J.P.Vincent ajoutait: il est important de ne pas faire de pédagogie. C’est l’art lui-même qui est pédagogue, et s’il apprend à comprendre, à se représenter le monde, c’est parce qu’il est un regard d’ailleurs, une folie, … Il faut qu’il reste cet ailleurs.

Nabil El Haggar, vice-président de l’USTL, poursuivait: la culture est une façon de comprendre le monde. Il y a beaucoup de gens qui veulent transformer le monde, mais peu qui font la démarche de le comprendre.

L’exercice de la culture est lié à l’exercice de la démocratie. La volonté de comprendre, de construire une représentation du monde, plurielle, venue d’ailleurs, en mouvement, est un préalable à tout exercice de transformation du monde (c’est mon commentaire).